23.10.2019
5 minutes de lecture
Des travaux menés à IFPEN ont permis de développer une approche originale pour résoudre des verrous persistants dans le domaine des processus d’injection, en mariant la CFD avec la thermodynamique des fluides réels.
Les dernières réglementations en matière d'émissions des véhicules nécessitent de faire encore des progrès importants concernant l’efficacité des moteurs à combustion interne. Une source d'amélioration essentielle se situe au niveau du processus d’injection de carburant dans la chambre de combustion, où de nombreux phénomènes complexes restent mal compris.
Si de nombreux logiciels de dynamique des fluides numérique (CFD) intègrent des modélisations sophistiquées du processus d’injection, prenant par exemple en compte le changement de phase pour simuler le phénomène de cavitation, peu de codes CFD sont capables de simuler avec précision des conditions d’injection transcritiquesa - c’est-à-dire à partir d'une condition de température pour laquelle le carburant est à l’état sous-critique liquide, vers un mélange supercritique gazeux dans la chambre de combustion. Ainsi, la plupart des modèles existants peuvent seulement simuler des écoulements monophasiques, éventuellement dans des conditions supercritiques, ou bien des écoulements diphasiques dans des conditions sous-critiques.
Ce manque d’un modèle complet, capable de traiter de manière dynamique les conditions transcritiques de l’injection, a été étudié à IFPEN lors d’un post-doctorat[1] et d’un travail de thèse[2] financé par l’Union européenne dans le cadre du projet ITN IPPAD[2,3]. Afin de résoudre les verrous persistants des écoulements transcritiques, une approche originale a été développée, consistant à coupler un modèle d'écoulement diphasique compressible, basé sur une approche eulérienne-eulérienneb, avec un modèle thermodynamique de fluide réel, prenant en compte l'équilibre de phase liquide-vapeur.
Il a été proposé de coupler un solveur d'équilibre de phase avec un modèle à quatre équations, pour traiter les bilans liquide et gazeux en équilibre mécanique et thermique.
Ce modèle a été validé :
- d’une part en utilisant une série de cas tests en configuration unidimensionnelle (1D), notamment par la simulation de phénomènes d'évaporation et de condensation, dans des conditions sous-critiques, transcritiques et supercritiques,
- et d’autre part en comparant les résultats tridimensionnels (3D) obtenus avec les données de la littérature.
Ce nouveau modèle s’est avéré très précis pour la simulation 3D des phénomènes de cavitation dans les buses des injecteurs de taille réelle. L’importance de prendre en compte les gaz dissous dans le liquide pour décrire la nucléation des bulles[2] a ainsi été démontrée. Le bon accord avec les données expérimentales prouve par ailleurs que le solveur proposé est capable de gérer le comportement complexe du changement de phase, à la fois dans les conditions sous-critique, transcritique et supercritique : c’est ce qui fait l’originalité de ce nouveau modèle. Enfin, la capacité du solveur à traiter l’injection transcritique à des pressions et températures élevées a été validée par la modélisation réussie de l'injecteur Spray A, qui sert de référence aux membres du réseau Engine Combustion Network (ECN) (voir la vidéo ci-dessous)[3].
Simulation 3D de l’injection transcritique pour l’injecteur Spray A
Conditions opératoires :
- Fuel injecté = n-dodecane / Pression d’injection 150 MPa / Température d’injection 365 K
- Gaz dans la chambre de combustion = azote / Pression 6 MPa / Température 900 K
a) Chaque fluide possède un point critique défini par sa température et sa pression critique (Tc, Pc). Pour un corps pur, on dit qu’il est dans un état supercritique lorsque sa pression P>Pc ou bien sa température T>Tc. Dans le cas contraire, le fluide est dans un état sous-critique. On parle de conditions transcritiques lorsqu’un fluide dans un état sous-critique est injecté dans un fluide dans un état supercritique. L’injection transcritique est courante dans les moteurs à injection directe à combustion par compression.
b) Pour les écoulements diphasiques (par exemple liquide et gaz), plusieurs méthodes peuvent être utilisées, parmi lesquelles la méthode eulérienne et la méthode lagrangienne. On parle d’approche eulérienne-eulérienne lorsque le problème est résolu par une méthode eulérienne, à la fois pour le liquide et pour le gaz.
Contact scientifique : Chaouki Habchi
Publications
[1] P. Yi, S. Yang, C. Habchi, and R. Lugo, A multicomponent real-fluid fully compressible four-equation model for two-phase flow with phase change, Physics of Fluids 31, 026102 (2019) >> https://doi.org/10.1063/1.5065781
[2] S. Yang, PhD thesis at Paris-Saclay University (2019)
[3] S. Yang, P. Yi, C. Habchi, Int. Journal of Multiphase Flow (2019) >> https://doi.org/10.1016/j.ijmultiphaseflow.2019.103145