08.03.2023

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Hélène Olivier-BourbigouSa réputation d’excellence scientifique et sa capacité d’innovation, IFPEN les doit à des chercheurs et des chercheuses impliqué(e)s qui, au-delà de leur savoir-faire, engagent leurs personnes et leurs valeurs dans des travaux au service de la transition écologique. Hélène Olivier-Bourbigou, actuellement responsable de programme et coordinatrice de l’ensemble de la recherche fondamentale à IFPEN, est de ces chercheuses. Connue pour ses travaux dans le domaine de la catalyse, notamment pour le développement de procédés plus respectueux de l’environnement, elle l’est au-delà pour sa volonté enthousiaste de créer une communauté autour de la discipline.

Comment devient-on une experte reconnue internationalement en catalyse ?

Devenir une experte en catalyse et être reconnue à l’international… Je crois qu’il n’est pas possible de donner un mode d’emploi ! C’est une aventure à la fois scientifique et humaine. Une aventure exigeante mais tellement passionnante qui, pour ma part, a été rendue possible grâce au concours de facteurs déterminants. Tout d’abord l’éducation depuis les petites classes jusqu’à l’enseignement supérieur. Car si l’école ne fait pas le parcours, c’est elle qui donne les clés pour accéder au meilleur niveau. J’ai eu aussi la chance de rencontrer à IFP Energies nouvelles, dès mon embauche en thèse, des hommes et des femmes (il y avait très peu de femmes au départ !) qui m’ont transmis les outils pour mener une démarche scientifique à la fois rigoureuse et visionnaire, ainsi que la passion, l’envie, une détermination et un goût du risque associés à une exigence et une curiosité scientifique constante. Plus tard, de jeunes chercheurs que j’ai formés m’ont à leur tour donné l’envie de continuer d’apprendre, d’aller plus loin et ont aussi contribué à ce parcours.

J’ai eu aussi la chance de rencontrer à IFP Energies nouvelles, dès mon embauche en thèse, des hommes et des femmes qui m’ont transmis les outils pour mener une démarche scientifique à la fois rigoureuse et visionnaire. 

L’environnement de recherche exceptionnel que j’ai trouvé à IFPEN a également beaucoup compté, car il m’a permis dès le début de ma carrière de m’inscrire dans un objectif de développement de procédés plus durables, défi majeur économique et environnemental, en associant recherche fondamentale et transfert industriel et en ayant la possibilité de faire des passerelles entre les disciplines. Un atout qui a concouru à faire de moi l’une des pionnières dans le développement des liquides ioniques pour la catalyse.

Enfin, je citerais l’importance de la communication de nos travaux et innovations, qu’il s’agisse de publications scientifiques ou de communications à congrès. Ce sont des tremplins essentiels par lesquels nos approches ont été saluées par la communauté internationale de la catalyse et distinguées par des prix dont j’ai été la simple ambassadrice.


Pouvez-vous partager votre vision de la démarche verrous, socle de la recherche fondamentale d’IFPEN ?

>> La démarche verrou d’IFPEN en une infographie

Lorsque nous présentons notre démarche verrous à l’extérieur d’IFPEN, on nous l’envie ! Elle apporte en effet une vision à la fois structurante, transverse et globale de notre recherche fondamentale. Elle permet de se projeter sur 5, 15, 30 ans, tout en faisant le lien avec l’histoire d’IFPEN en cassant les barrières entre les disciplines et les thématiques appliquées ou plus orientées. De façon idéale, nous pourrions dire qu’elle permet de traverser les échelles de temps et d’espace !

Mais restons les pieds sur terre et rappelons en quoi elle peut être singulière.

Quand le monde académique se pose des questions sur la compréhension des phénomènes dans les termes strictement thématiques ou méthodologiques d’une discipline avec des retombées appliquées souvent sur le temps long, le monde industriel, au cœur du marché, reste contraint par des objectifs de résultats de court et moyen terme pour saisir les opportunités d’innovation. À mi-chemin entre ces deux visions, la démarche verrou peut permettre de construire un pont. Je le juge vital pour répondre à cet enjeu ambitieux qui consiste aujourd’hui à réussir à partager et accompagner la prise de risque nécessaire à la mise au point d’innovations de rupture pour le monde durable auquel nous aspirons.

À mi-chemin entre les deux visions [des mondes académique et industriel], la démarche verrou peut construire un pont. Je le juge vital pour répondre à cet enjeu ambitieux qui consiste aujourd’hui à réussir à partager et accompagner la prise de risque nécessaire à la mise au point d’innovations de rupture pour le monde durable auquel nous aspirons. 

Sur un plan plus opérationnel, depuis l’expérimentation, l’analyse et la compréhension des phénomènes, les simulations physico-chimiques et numériques jusqu’aux les méthodologies pour des évaluations et analyses systémiques, économiques, environnementale et sociétale, la démarche verrous permet d’expliciter les questions scientifiques, ainsi que les freins aux innovations posés par les besoins des nouvelles technologies et de la société. Elle permet aussi d’apporter des pistes méthodologiques pour y répondre avec une vision prospective et une ouverture aux pistes en rupture.

En plus de nous permettre de voir loin et à 360 degrés, la démarche verrou alimente la curiosité intellectuelle et est souvent source de nouvelles idées. Un véritable atout, car les scientifiques aussi sont innovants dans la façon de mener leurs recherches et de trouver des solutions ! 


Comment est-ce que cela se traduit au quotidien ?

Prenons l’exemple des batteries. Elles évoluent constamment du fait des besoins croissants de nouveaux usages et fonctionnalités et doivent être plus performantes et plus sûres. De la conception de nouveaux matériaux/systèmes, si possible moins critiques et plus facilement recyclables, à la prédiction de l’emballement thermique et le vieillissement, comment abordons-nous ces problèmes à IFPEN ? 

La démarche verrou offre un point d’entrée avec une méthode multi-physique et multi-échelle incluant : les approches ab initio jusqu’au système (verrou 6), le développement d’outils et méthodes pour le développement de nouveaux matériaux et la compréhension des mécanismes électrochimiques associés (verrou 2), l’étude des phénomènes aux interfaces liquide-solide ou solide-solide (verrou 3) et enfin le développement de nouveaux outils d’analyse et de caractérisation avancée (verrou 1). Mieux comprendre le comportement des batteries dans le cadre d’une approche globale permet ensuite à nos ingénieur(e)s de trouver des solutions différenciantes, et au-delà, de déployer les connaissances acquises à d’autres systèmes de stockages d’énergie, comme les électrolyseurs ou encore les piles à combustible, pour de nouvelles applications qui répondent aux besoins de la société. 

De la conception de nouveaux matériaux/systèmes, si possible moins critiques et plus facilement recyclables, à la prédiction de l’emballement thermique et le vieillissement, etc. comment abordons-nous ces problèmes à IFPEN ? La démarche verrou offre un point d’entrée avec une méthode multi-physique et multi-échelle […] 

Un autre exemple ? La construction et la proposition concrète d’un nouveau projet original de « bio-géo-inspiration », similaire au biomimétisme plus connu, issu de questionnements scientifiques transverses et du croisement des compétences en biotechnologies et sciences du sous-sol.

Pour que cette démarche globale fonctionne au mieux, encore faut-il travailler ensemble, croiser l’expérience et le savoir-faire des chercheurs. C’est pourquoi IFPEN nomme des responsables verrous, en charge d’animer des groupes de travail composés de chercheurs de différentes directions de recherche. Ces derniers ont récemment encouragé encore un peu plus fortement ce dialogue en organisant des groupes d’échanges par verrou au sein d’IFPEN qu’ils ont ouverts à tout le monde. Je suis heureuse et fière de cette initiative réussie qui a permis de provoquer et de favoriser les échanges scientifiques verrou et inter-verrou avec l’ensemble de la R&I (Recherche et Innovation) IFPEN et avec les référents de notre conseil scientifique, mais également de faire connaître et ancrer la démarche verrou dans le paysage scientifique IFPEN. 


Quels sont les projets qui vous motivent et vos perspectives pour demain ?

Ma meilleure contribution est celle dédiée à la réussite collective à laquelle je crois. Elle repose sur la transmission de mon expertise et de ma curiosité scientifique, une qualité que j’associe à une certaine faculté de prendre le temps de questionner, car le chemin de la réflexion est aussi important que la solution à laquelle il mène. Plus encore, elle s’appuie sur le partage de mon enthousiasme intact pour transmettre mon envie et exalter cette curiosité, mise en danger par l’urgence climatique appelant à des résultats très rapides, ainsi que l’inventivité des chercheurs. Dans un monde où la quête du sens se mêle parfois à l’incompréhension et où l’incertitude est partout, je crois qu’il est important de partager des valeurs.

Ma meilleure contribution est celle dédiée à la réussite collective à laquelle je crois. 

J’ai été comblée en recevant plusieurs prix scientifiques et distinctions honorifiques ces dernières années, je souhaite désormais soutenir et challenger à mon tour les plus jeunes talents. Quand j’ai eu le prix de la « femme scientifique de l’année » on m’a demandé ce que j’avais découvert. Je me suis rendu compte de la difficulté de parler simplement et de façon attrayante de notre recherche. C’est pourquoi j’ai toujours cherché à rendre plus accessibles nos travaux en multipliant les occasions d’échanger avec des étudiantes, des étudiants, et des enseignants. C’est un aspect de mon métier qui est source de grand plaisir. J’ai mesuré l’impact que nous pouvons avoir face à des vocations que nous avons le pouvoir d’encourager. Les jeunes filles en particulier hésitent encore pour certaines à intégrer les filières scientifiques. Un petit coup de pouce de notre part peut vraiment changer la donne ! 

Le rayonnement de la catalyse à l’international me tient également à cœur. Je suis particulièrement fière d’être co-chair du futur congrès international de catalyse qui aura lieu à Lyon en 2024 et d’être entourée d’une équipe dynamique. C’est aussi l’aboutissement d’une histoire collective, commencée avec la communauté de catalyse lorsque j’ai pris la présidence de la division catalyse de la SCF en 2013 et poursuivie aujourd’hui.