11.05.2020
5 minutes de lecture
À l’aide du calcul quantique et du premier modèle moléculaire des arêtes de cristallites d’alumine gamma, un matériau très utilisé en catalyse, les équipes de recherche d’IFPEN et du CRMN ont revisité l’attribution du spectre RMN établie jusqu’ici par la littérature. Elles ont découvert que les pics observés sur le spectre correspondaient aux protons des hydroxyles présents sur les arêtes.
Alumine gamma : des secrets encore à lever à l’échelle atomique
L’oxyde d’aluminium, ou alumine Al2O3, est un matériau qui offre une gamme d’application particulièrement large en catalyse hétérogène, car il présente une réactivité intrinsèque mise à profit pour disperser les phases actives (métalliques, sulfures) des catalyseurs. C’est notamment le cas de l’alumine dite gamma (γ), très utilisée dans l’industrie et de ce fait étudiée depuis plusieurs dizaines d’années, mais qui recèle encore un certain nombre de secrets à l’échelle atomique.
Des travaux récents menés à IFPEN [1] en collaboration avec le CRMN (Centre de RMN à très hauts champs de Lyon), dans le cadre du Laboratoire Commun de Recherche CARMEN et de la Chaire ROAD4CAT, ont dévoilé un aspect nouveau des propriétés de l’alumine gamma peu étudiées jusqu’ici dans la littérature.
Spectre RMN : présence d’hydroxyles sur les cristallites d’alumine
L’alumine gamma existe sous forme de cristallites microscopiques avec des dimensions finies de l’ordre de dizaines de nanomètres. Les surfaces et les arêtes de ces cristallites sont composées d’atomes d’Al et O qui présentent des défauts de coordination par rapport à leurs homologues situés au cœur du matériau. Pour compenser cela, les atomes des surfaces et arêtes ont une propension à créer de nouveaux liens chimiques avec des molécules d’eau, donnant ainsi naissance à des groupes hydroxyles (Alsurf-OH) qui jouent un rôle très important dans les propriétés réactives de l’alumine gamma.
Les spectres de résonance magnétique nucléaire des protons 1H du solide (RMN à haut champ de 800 MHz) ont été obtenus pour deux échantillons d’alumine gamma dont la morphologie et la taille des cristallites constitutives différaient. Ces spectres ont révélé que les hydroxyles (groupes OH, seule source de H dans l’alumine) sont présents sur les cristallites d’alumine et que leur concentration dépend de la nature des deux échantillons.
Un nouveau modèle moléculaire quantique revisite les attributions du spectre
Le calcul quantique (DFT1) a permis de revisiter l’attribution du spectre RMN par rapport aux propositions antérieures de la littérature. Ainsi, il a été montré que l’un des pics principaux observés sur le spectre correspondait aux protons des hydroxyles (monocoordinnés) localisés sur les arêtes des cristallites d’alumine [1].
Cette découverte a été rendue possible grâce à la construction du premier modèle moléculaire quantique des arêtes des cristallites d’alumine gamma. Ce modèle propose une nouvelle architecture atomique pour ce type d’arêtes en présence d’hydroxyles. Les calculs quantiques du déplacement chimique de l’hydrogène montrent que ces hydroxyles d’arête correspondent au pic observé en RMN à d =-0,1 ppm (figure). Cette nouvelle attribution des pics du spectre RMN permet d’expliquer comment les effets de la taille et de la morphologie des 2 échantillons étudiés impactent la nature du spectre RMN.
D’autres découvertes utiles à la catalyse
Ces travaux ont également montré pour la première fois que le chlore, utilisé comme dopant de l’acidité pour certaines applications catalytiques, se substituait de façon sélective aux hydroxyles de ces mêmes arêtes, ce qui induit une disparition du fameux pic à d=-0,1 ppm.
De plus, cette nouvelle approche permet simultanément de doser la quantité des sites actifs localisés sur les arêtes des cristallites d’alumine, sites pouvant être clef pour la catalyse.
En recourant à d’autres outils de caractérisation de pointe (Microscopie électronique Haute résolution, en collaboration avec l’IPCMS2), ce travail a trouvé récemment une extension cruciale dans la question des phases actives supportées telles que le platine, en mettant en évidence l’effet des arêtes des cristallites sur la stabilisation de ces nanoparticules métalliques [2].
1 Théorie de la fonctionnelle de la densité
2 Institut de Physique et Chimie des Matériaux de Strasbourg
Contact scientifique : Ana Teresa Fialho Batista
Références :
[1] Beyond gamma-Al2O3 Crystallite Surfaces: the Hidden Features of Edges Revealed by Solid-State 1H NMR and DFT Calculations.
Batista, A. T. F. ; Wisser, D. ; Pigeon, T. ; Gajan, D. ; Diehl, F. ; Rivallan, M.; Catita, L.; Gay, A.-S.; Lesage, A.; Chizallet, C.; Raybaud, P.
J. Catal. 2019, 378, 140–143.
https://dx.doi.org/10.1016/j.jcat.2019.08.009
[2] Atomic scale insight into the formation, size and location of platinum nanoparticles supported on γ-alumina.
Batista, A. T. F. ; Bazziz, W.; Taleb, A.-L.; Chaniot, J.; Moreaud, M. ; Legens, C.; Aguilar-Tapia, A.; Proux, O.; Hazemann, J.-L.; Diehl, F.; Chizallet, C.; Gay, A.-S.; Ersen, O.; Raybaud, P.
ACS Catal. 2020.
https://dx.doi.org/10.1021/acscatal.0c00042