26.02.2020
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Un travail de thèse réalisé au sein d’IFP Energies Nouvelles s’est employé à mesurer l’impact des roches sur la réactivité du CO2 dans les fluides circulant dans les bassins sédimentaires de Grenade (Andalousie). Les résultats intéressent la production énergétique et ses enjeux en matière d’émissions de carbone, notamment celles de la géothermie.
Comprendre les réactions chimiques à l’œuvre en géothermie : un défi à relever pour la transition énergétique
Comprendre la circulation des fluides (liquide et gaz) dans les bassins sédimentaires, à la fois en termes de transport et de réaction, est crucial dans le domaine de la production énergétique (géothermie, production d’hydrocarbures, séquestration géologique du CO2) et de la gestion de la ressource en eau.
Des exemples récents de phénomènes de dégazage du CO2 et de l’H2S lors de la production d’énergie par géothermie ont soulevé plusieurs problèmes. Or, dans le contexte de la transition énergétique, la géothermie est vue comme une source d’énergie propre qui, parce qu’elle n’émet pas de carbone, offre une alternative écologique à long terme aux combustibles fossiles.
L'évaluation des réactions chimiques, susceptibles de générer ou de consommer du CO2, dans les systèmes géothermiques apparaît donc nécessaire pour prédire efficacement l’ampleur de ces phénomènes dans le cadre de futurs projets. Toutefois, évaluer et contraindre les circulations des eaux souterraines dans les bassins sédimentaires demeure un défi, notamment en raison de l'hétérogénéité multi-échelle du système, de la diversité des types de fluides en présence, et de la complexité des réactions chimiques rencontrées.
Le Bassin de Grenade : un territoire propice à l’étude de l’interaction fluide-roche
Un travail de thèse effectué à IFPEN [1] s’est donné comme objectif de suivre la circulation et la réactivité des fluides dans un bassin sédimentaire en utilisant la géochimie des fluides inorganiques. Il a porté sur l’étude de cas du Bassin de Grenade, un bassin intra montagneux au sein de la Cordillère Bétique (Andalousie, Espagne) caractérisé par une géodynamique récente active, de nombreuses sources thermales et la présence d'évaporites1 dans le socle continental et le remplissage sédimentaire. Ce bassin est particulièrement intéressant pour l’étude de l’interaction fluide-roche compte tenu des circulations de fluides à différentes échelles et des contrastes de minéralisation des eaux souterraines.
Une nouvelle hypothèse sur le système gaz-eau-roche
Le travail de recherche a d’abord porté sur la composition isotopique de l'hélium, contenu dans les gaz libres et dissous dans les eaux naturelles, pour évaluer le système gaz-eau-roche et tester l’influence possible de la lithosphère sous-jacente sur les sources thermales observées dans la région.
Les isotopes He ont révélé une composante radiogénique dominante, avec une contribution en hélium mantellique2 de 1%. L'évaluation des mécanismes de transport de l'hélium dans la croûte (enveloppe supérieure de la Terre) montre par ailleurs que le système crustal de la Cordillère Bétique est actuellement dissocié du système du manteau.
Ces résultats ont permis de proposer une nouvelle hypothèse : le léger excès de 3He observé dans les fluides actuels pourrait résulter d'une signature fossile de manteau, diluée par la production radiogénique crustale au fil du temps [2].
Assemblage de minéraux, température et fugacité du CO2 : une relation démontrée
La composition géochimique des fluides des systèmes géothermaux de faible et moyenne enthalpie présents dans la Cordillère Bétique a ensuite été mesurée et décrite sur la base d’interactions se produisant entre les fluides et les roches. Cette étude, combinant plusieurs méthodes géothermométriques et géochimiques, a révélé une forte relation entre la température, la fugacité de CO2 (fCO2) dans le réservoir et les assemblages minéralogiques [3].
Les résultats ont permis de mettre en évidence l’impact des tampons minéraux, qui forment les roches sédimentaires et le socle métamorphique, sur la réactivité du CO2. Ils ont en outre ouvert une discussion sur les systèmes géothermiques en s’appuyant sur leurs émissions naturelles de CO2, à l’heure où ces derniers sont considérés en tant que source d'énergie durable. (figure 1).
Des chemins de circulations possibles des eaux souterraines mis en évidence
Des recherches plus approfondies de la réactivité des eaux, basées sur un échantillonnage et l’analyse de la composition de nombreuses sources et puits, ont permis de donner un aperçu des circulations des eaux souterraines à l'échelle de l'ensemble du bassin de Grenade. Elles ont montré que la composition chimique des eaux souterraines évolue d’un pôle carbonaté (eaux dites « à dominante carbonatée »), aux limites du bassin, vers des eaux à dominante sulfatée et chlorurée au cœur du bassin.
L'évolution de la saturation des eaux souterraines vis-à-vis des carbonates, alumino-silicates et sulfates - barytine, célestine et gypse - (figure 2) a permis de mettre en évidence des chemins d'écoulement possibles vers les principaux dépôts au centre du bassin (figure 3), sur la base d’un modèle conceptuel de transport réactif.
Contacts scientifiques : Xavier Guichet, Claire Lix3
Références :
[1] Lix C. (2019). Present-day fluid-rock interaction in a sedimentary basin: Study case of the Granada Basin (Betic Cordillera, Spain). Thèse soutenue le 15 mars 2019.
[2] Lix C., Zuddas P., Inguaggiato C., Guichet X., Benavente H., and Barbier M. (2018). New insights on Betic Cordillera geodynamics from gas geochemistry. Geochemistry, Geophysics, Geosystems, Vol 9, p. 4945-4956.
[3] Lix C., Zuddas P., Guichet X., Benavente H., Luque J.A., and Barbier M. (2020). Role of CO2 in low to medium enthalpy geothermal systems in the Central Betic Cordillera. Science of the Total Environment, Vol 705, doi: 10.1016/j.scitotenv.2019.135652.
> En savoir plus sur l'expertise géothermie d'IFPEN
BAG Baños Alhama de Granada BUG Baños Urquizar Grande
BNAG Baños Nuevo Alhama de Granada BUC Baños Urquizar Chico
LR Los Rosas CL Capuchina de Lanjaron
BSL Baños Salado de Lanjaron
1. Roches sédimentaires constituées de sels minéraux qui ont été précipités à partir de solutions salines et résultant d’une évaporation.
2. Relatif au manteau, qui est l’enveloppe intermédiaire entre la croûte et le noyau terrestre.
3. Actuellement au Groupement de recherche eau, sol, environnement (GRESE) de l’université de Limoges.