Thèse de Martina Torelli, lauréate du Prix Yves Chauvin 2022 "Modelling Microbial Methane Processes in Marine Environments: from Source to Seep. Insights from Basin Analysis"
Tout comme le dioxyde de carbone (CO2), mais doté d’un PRGa bien supérieur, le méthane (CH4) est un gaz qui, d’après l’AIEb, est responsable d'environ 30 % de l'augmentation des températures mondiales depuis la révolution industrielle.
Les processus, biologiques et abiotiques, qui régissent sa teneur dans l'atmosphère restent insuffisamment compris et une contribution encore très discutée est celle liée à la dégradation de la matière organique contenue dans les sédiments marins, au niveau des marges continentalesc. Le CH4 s’échappant ainsi du fond des mers peut rejoindre les masses d’eau, puis l’atmosphère, et une partie peut aussi y rester stockée sous forme d’hydrates de gaz. Toutefois, suivant l’évolution locale des conditions de pression et de température, ces derniers pourraient de nouveau libérer des quantités massives de méthane qui contribueraient à modifier la composition chimique des océans et de l’atmosphère (si elles traversent la colonne d’eau). Ceci alimenterait alors un cercle vicieux : une étude récente portant sur l'Atlantique Sud occidental [1] a en effet prouvé que le réchauffement actuel de l'océan risquait d’amplifier ce phénomène en déstabilisant dans la durée ces hydrates de gaz.
A ce jour, les quantités de CH4 atteignant effectivement l’atmosphère depuis le fond des mers sont incertaines et probablement sous-évaluées. Les estimations varient entre 3 et 9 % des émissions mondiales [2], à partir des données disponibles, trop peu nombreuses, qui sont issues de l’exploration pétrolière ou de campagnes de forage à but scientifique.
La modélisation à grande échelle s’avère alors un outil complémentaire pour comprendre et quantifier les flux passés et présents qui se dégagent des fonds marins, susceptibles ensuite de rejoindre les masses d’eau puis éventuellement l’atmosphère pour en modifier progressivement la composition.
Fort de ses compétences en modélisation et simulation des bassins sédimentaires, IFPEN a hébergé un travail de thèse portant sur ce sujet, dans le cadre du programme de recherche PAMELA (PAssive Margins Exploration LAboratories) [3]d. Une approche originale, utilisant le logiciel TemisFlow™, a été mise en œuvre pour évaluer les quantités de gaz générées dans le sous-sol marin, par décomposition microbienne de la matière organique, ainsi que la part piégée sous forme de carbonates, de manière à en déduire l’évolution au cours du temps des flux de carbone (CH4 et CO2) dans des conditions naturelles du fond de la mer.
Ce travail a été l’occasion de préciser les processus d’altération de la matière organique sédimentaire [4] et la stratégie adoptée a ensuite consisté à construire un modèle cohérent avec la géologie du bassin :
- intégrant l’histoire géologique ainsi que les données caractéristiques de la matière organique sédimentaire (MOS) présente ;
- décrivant des processus de formation / migration et de piégeage de gaz d’origine microbienne.
Cette approche a été appliquée au bassin d’Aquitaine (Golfe de Gascogne) [5] et est illustrée par la Figure ci-dessous. Les résultats de la modélisation montrent que les débits actuels de méthane (27 Mg CH4/an) sont du même ordre de grandeur que ceux estimés à partir de mesures de débit in situ et de données acoustiques (35 Mg CH4/an) [6].
En démontrant la capacité d’un outil de simulation, initialement développé pour les besoins de l’exploration pétrolière, à décrire des phénomènes complexes à grande échelle pouvant amplifier le changement climatique, ce travail illustre la démarche d’IFPEN pour déployer ses ressources au service de nouveaux enjeux.
a- Potentiel de réchauffement global : pouvoir réchauffant rapporté à celui de la même masse de dioxyde de carbone.
b- IEA (2022), Global Methane Tracker 2022, IEA, Paris >> https://www.iea.org/reports/global-methane-tracker-2022, License: CC BY 4.0
c- Zone sous-marine située au bord des continents dans laquelle la majeure partie des sédiments issus de l'érosion du continent est transportée.
d- Auquel participaient également TOTAL Energies, l’IFREMER , le CNRS et les universités de Bretagne Occidentale, (UBO), Rennes 1 et Paris VI.
Références :
-
Ketzer, M., Praeg, D., Rodrigues, L.F. et al. "Gas hydrate dissociation linked to contemporary ocean warming in the southern hemisphere", Nature Communications 11, 3788 (2020).
>> https://doi.org/10.1038/s41467-020-17289-z
-
Judd, A.G., Hovland, M., Dimitrov, L.I., García Gil, S. and Jukes, V. (2002), "The geological methane budget at Continental Margins and its influence on climate change", Geofluids, 2: 109-126.
>> https://doi.org/10.1046/j.1468-8123.2002.00027.x
-
PAMELA : PAssive Margins Exploration LAboratories
>> https://campagnes.flotteoceanographique.fr/series/236/
-
Torelli M., Battani A., Pillot P., Kohler E., Lopes De Azevedo J., Kowalewski I., Pastor L., Brandily C., Schmidt S., Jouet G., Deville E. (2021). "Origin and Preservation Conditions of Organic Matter in the Mozambique Channel: Evidence for Widespread Oxidation Processes in the Deep-Water Domains", Marine Geology, 440, 106589 (16p.).
>> https://doi.org/10.1016/j.margeo.2021.106589
-
Torelli M., Kowalewski I., Gervais V., Wendebourg J., Dupré S., Wolf S., Gout C., Deville E. (2021). "Quantification of natural microbial methane from generation to emission in the offshore Aquitaine: A basin modelling approach", Marine and Petroleum Geology Vol. 127, pp. 1049490
>> https://doi.org/10.1016/j.marpetgeo.2021.104949
-
Dupré, S. Loubrieu, B. Pierre, C. Scalabrin, C. Guérin, C. Ehrhold, A. Ogor, A. Gautier, E. Ruffine, L. Biville, R. Saout, J. Breton, C. Floodpage, J. Lescanne, M. (2020) "The Aquitaine Shelf Edge (Bay of Biscay): A Primary Outlet for Microbial Methane Release", Geophysical Research Letters 47.
>> https://doi.org/10.1029/2019GL084561
Contacts scientifiques : isabelle.kowalewski@ifpen.fr ; eric.deville@ifpen.fr
Vous serez aussi intéressé par
Le CCUS dans la transition écologique | Le podcast #1 - Définition et enjeux
Chaire CarMa : des émissions de CO2 négatives à l’horizon 2050
La lutte contre le réchauffement climatique s’appuie sur la réduction des émissions anthropogéniques de gaz à effet de serre, principalement le dioxyde de carbone et le méthane. La problématique est mondiale et les actions à entreprendre s’inscrivent dans une approche systémique, avec des effets d’échelle difficiles à appréhender. Cependant, l’accord de Paris traduit la détermination des nations à corriger la trajectoire actuelle tout en respectant les aspirations légitimes des pays émergents à augmenter leur niveau de vie.