Dans le domaine de l'énergie éolienne, les simulations par LES (Large Eddy Simulations1) sont couramment utilisées pour mieux appréhender l’écoulement du vent au sein des parcs. A l’échelle de ces parcs, elles servent également à établir des modèles analytiques de sillages, utiles pour étudier l’interaction des éoliennes entre elles ainsi qu’avec la couche limite atmosphérique (CLA). Cependant, les moyens de calcul actuels ne permettent pas une résolution suffisamment fine de ces modèles2 tout en effectuant des simulations dans des temps acceptables.
Afin de réduire ce coût de calcul, on a déjà recours par exemple aux méthodes actuatrices [1] pour modéliser les pales en s’appuyant sur la technique des « body forces3 » (actuator lines et actuator disks). Celle-ci permet de limiter la taille de maillage en ne représentant pas explicitement la géométrie des pales. Cependant, la réduction des temps de calcul par LES, bien qu’importante, n’est pas encore suffisante pour la simulation numérique fine d'un parc éolien.
En pratique, cette dernière nécessite de prendre en compte l’interaction entre des phénomènes situés d’une part à une échelle kilométrique (phénomènes atmosphériques) et d’autre part à une échelle métrique (effets de turbulence dans les sillages). C’est cette contrainte qui conduit à des simulations coûteuses, en particulier avec les solveurs LES traditionnels4 .
Comme alternative à ces solveurs, IFPEN a décidé d’étudier l'utilisation de la méthode Lattice-Boltzmann (LBM), accélérée par l’utilisation des cartes graphiques (GPU5). En effet, bien que partant de bases théoriques distinctes de la LES, la LBM peut résoudre des problèmes équivalents et les solveurs basés sur cette méthode sont plus efficaces et particulièrement adaptés aux architectures de calculateurs hétérogènes massivement parallèles.
Ce travail a été mené dans le cadre du projet européen EoCoE-II, achevé fin 2022, en collaboration avec les développeurs du solveur massivement parallèle waLBerla6, à l'Université d'Erlangen. Sur cette base, IFPEN a développé le solveur waLBerla-wind pour deux architectures de microprocessurs (x86 et ARM). Grâce à sa conception logicielle unique, qui fournit une base de code commune pour CPU et GPU, la portabilité sur les différentes architectures cibles est assurée, avec un coût de maintenance réduit. De plus, ce solveur est compatible avec la technologie GPUDirect® de NVIDIA pour le transfert efficace de données entre plusieurs GPUs.
Comme avec la LES, les modèles physiques déployés dans waLBerla-wind pour simuler les éoliennes utilisent des méthodes actuatrices, avec des corrections optionnelles de perte de charge en bout de pale. De plus, ce solveur permet de simuler différentes configurations d'éoliennes, aussi bien à axe horizontal que vertical.
Les résultats numériques et la performance de calcul de waLBerla-wind ont fait l’objet d’une première comparaison [2] avec ceux de SOWFA, le solveur LES le plus utilisé dans la recherche sur l'énergie éolienne, et de Meso-NH, un outil mis au point par IFPEN à partir d’un solveur météorologique développé par le CNRM7.
Cette comparaison a porté sur un cas test relativement simple, avec une seule éolienne, en appliquant le même pas de temps et la même taille de maille pour les trois solveurs.
Il s’est avéré que sur CPU seul, et pour le même nombre de nœuds de calcul, le solveur LBM de waLBerla-wind était 70 fois plus rapide que SOWFA et 40 fois plus que Meso-NH. En utilisant de plus les GPUs pour le solveur LBM (Figure 1), les ratios sont encore plus remarquables : 470 et 290 respectivement, tout en fournissant des résultats comparables (Figure 2).
Le parallélisme massif déployé dans waLBerla-wind confère à ce code une capacité à simuler efficacement non seulement les éoliennes individuelles mais aussi les parcs éoliens entiers. Le point le plus remarquable est que combiner l’utilisation de la méthode LBM avec le calcul massivement parallèle sur GPUs permet même d’envisager des simulations en temps réel.
L’enrichissement du logiciel pour la prise en compte du phénomène de couche limite atmospherique (CLA) est en cours dans le cadre d’un travail de thèse* pour simuler des parcs éoliens dans des conditions encore plus réalistes.
1- Modèle mathématique de turbulence utilisé en dynamique des fluides numérique.
2- Cf. Science@ifpen n° 49.
3- Forces qui agissent dans tout le volume d'un corps.
4- Basés sur les équations de Navier-Stokes.
5- Graphics Processing Unit, vs Central Processing Unit (CPU).
6- Ce solveur en open-source figure parmi les plus performants à l’heure actuelle grâce, notamment, à l’utilisation de techniques de génération de code très efficaces.
7- Centre National de Recherches Météorologiques (Météo France).
* Thèse intitulée : Méthodes de Lattice Boltzmann pour application à l’éolien : modélisation aéroélastique d'une éolienne dans une couche limite atmosphérique.
Références :
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Pierre-Antoine Joulin, Modélisation à fine échelle des interactions entre parcs éoliens et météorologie locale, Thèse de doctorat,
>> https://www.theses.fr/2019INPT0135
-
Helen Schottenhamml, Ani Anciaux-Sedrakian, Frédéric Blondel, Adria Borras-Nadal, Pierre-Antoine Joulin, and Ulrich Rüde. Evaluation of a lattice Boltzmann-based wind-turbine actuator line model against a Navier-Stokes approach. Journal of Physics: Conference Series, 2265(2):022027, May 2022.
>> https://hal-ifp.archives-ouvertes.fr/hal-03750519/document
Contacts scientifiques : helen.schottenhamml@ifpen.fr ; Ani Anciaux Sedrakian ; frederic.blondel@ifpen.fr
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