16.02.2021
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Une reprise attendue en 2021
L’année 2020 restera celle des bouleversements qui ont affecté l’ensemble de la planète du fait de la Covid-19. Au-delà du nombre de décès à déplorer, l’année 2020 sera celle de la grande récession économique à hauteur de -3,5 % au niveau mondial d’après les prévisions du FMI datant de janvier dernier. Des pans entiers de l’économie ont été ou sont mis à l’arrêt en raison du confinement et des distanciations sociales à respecter, en particulier le tourisme, la culture, les loisirs ou le transport aérien.
En matière de contrôle de la pandémie, rien n’est acquis à ce jour. Le nombre de contaminations comme le nombre de décès continuent d’augmenter que ce soit en Europe, aux États-Unis ou dans le reste du monde (hors Chine). Il convient toutefois de noter que le rythme journalier de contaminations est en recul depuis le début de l’année (fig. 1). Le nombre de décès est en croissance dans toutes les zones (fig. 2) sur la base d’un taux qui converge à environ 2 % des cas de contamination répertoriés. Ce pourcentage reste préoccupant en raison de la propagation rapide du virus et donc du nombre de cas potentiels. La directrice générale du FMI a résumé la situation en évoquant une « course sans précédent » entre le virus et les vaccins.
Le FMI soulignait que « ce sont des moments difficiles, mais qu’il y a quelques raisons d’être optimiste ». L’annonce, en novembre dernier, de la mise au point de plusieurs vaccins et le début des vaccinations depuis le mois de décembre constituent des raisons d’espérer. Il y en a d’autres avec les plans de relance ciblés sur l’urgence sociale, mais aussi sur l’urgence climatique (voir annexe 1 sur l’impact des plans de soutien à l’économie). Les transitions, écologiques mais aussi numériques, sont porteuses d’espoir de reprise de l’économie. Il faudra que ces transformations soient accompagnées de création de valeur ajoutée pour apporter un bénéfice réel pour l’économie en termes de croissance et de création d’emplois. Il faudra aussi compenser l’importante perte de richesse due à la Covid-19(1).
Le monde pétrolier, lourdement impacté en 2020, doit s’adapter à ces tendances qui modifient en profondeur des secteurs (aériens, tourisme, culture, loisirs, etc.) et qui accélèrent par ailleurs des mutations déjà en mouvement avant la crise (télétravail(2), digitalisation, etc.). Les tendances de court et moyen termes restent encore aujourd’hui très incertaines comme l’a rappelé en janvier le FMI. Le FMI a néanmoins réajusté à la hausse ses projections de croissance de l’économie mondiale pour cette année sur la base d’un taux de 5,5 % (+0,3 point de pourcentage par rapport à la prévision précédente).
Marché pétrolier en 2020
Le bilan pétrolier de l’année 2020 peut se résumer assez simplement : une demande mondiale en forte baisse dans les pays OCDE et non-OCDE (fig. 3 et 4), un ajustement de l’offre des pays non Opep+ contraint par les conditions économiques et un ajustement volontaire rigoureux de l’offre des pays dit de l’Opep+ regroupant l’Opep et la Russie en particulier. Ces ajustements ont permis d’éviter un trop fort excès d’offre face à une demande en recul en 2020 de plus de 8 Mb/j d’une année sur l’autre et de 10 Mb/j si l’on se réfère aux tendances anticipées avant la crise.
Face à ce recul, les pays producteurs rassemblés sous la bannière de l’Opep+ ont été amenés à réduire leur niveau de production de près de 7 Mb/j par rapport à 2019. Les pays non-Opep+ ont contribué quant à eux à la réduction de l’offre à hauteur de 1,3 Mb/j, la baisse provenant quasiment pour moitié des États-Unis (-0,6 Mb/j ; fig. 5). Le solde de 5,3 Mb/j résulte des accords conclus par les pays Opep+ en avril et amendés en juin puis en décembre (fig. 6). Les engagements ont été appliqués avec beaucoup de rigueur dans le cadre d’une concertation entre l’Arabie saoudite et la Russie, ce qui a permis de les crédibiliser. Cela a aussi permis de soutenir les cours du pétrole à partir du mois de juin 2020.
Sur la base de ces évolutions entre demande et offre, le bilan de l’année 2020 fait apparaître deux périodes bien distinctes : le premier semestre, d’une part, caractérisé par des excédents d’offre historiques avec un pic à 9 Mb/j et le deuxième semestre, d’autre part, marqué par un déficit offre/demande significatif de plus de 2 Mb/j (fig. 7).
L’évolution du prix du Brent traduit ces perturbations importantes avec une baisse de plus de 70 % entre janvier (67 $/b(3) et avril (18 $/b), puis, sous l’effet de la contraction de l’offre, un doublement du prix pour atteindre environ 40 $/b de juin à novembre. Le mois de décembre a été marqué par un nouvel accord Opep+ (voir annexe 2) permettant de propulser le prix du pétrole à plus de 50 $/b (fig. 8). En moyenne, le Brent s’établit à 42 $/b en moyenne sur l’année, en recul de 35 % par rapport à 2019 (64 $/b).
Les scénarios possibles en 2021
Les différents analystes interrogés fin décembre par Reuters anticipent, pour certains, une remontée du prix du Brent en 2021 qui se situerait entre 50 et 60 $/b (fig. 9). D’autres envisagent plutôt une stabilité à environ 40/45 $/b.
Ces anticipations assez dispersées (+ 0 à 33 % par rapport à 2020) traduisent, comme par le passé, la diversité des scénarios possibles en 2021. Les conditions de la mise en œuvre du dernier accord Opep+ font partie, avec l’efficacité des campagnes de vaccination, la géopolitique liée en particulier à l’Iran, l’évolution de la production des shale oil ou la croissance économique mondiale (estimée en janvier par le FMI à +5,5 % pour 2021), des paramètres déterminants susceptibles d’influencer le prix cette année.
Politique et cohésion Opep+
L’Opep+ a choisi le compromis au cours de ses dernières réunions tenues en décembre 2020 et janvier 2021 (voir annexe 2), compte tenu des divergences qui sont apparues sur la politique à tenir. L’Arabie saoudite prônait une approche prudente tandis que la Russie était plutôt favorable à une augmentation de la production. Ces réunions, prolongées à chaque reprise du fait de ces divergences, ont néanmoins abouti à des résultats importants.
Le premier concerne la remise en cause de l’accord de juin dernier qui prévoyait une hausse de 1,9 Mb/j à partir de janvier, hausse jugée trop importante dans le contexte actuel. Le deuxième concerne la méthodologie avec l’organisation de réunions mensuelles de façon à mieux coller à l’évolution du marché. Le troisième concerne la redéfinition des quotas pour le 1er trimestre et la proposition « surprise » de l’Arabie saoudite de réduire de 1 Mb/j sa production en février et mars. Le prix du Brent a fortement progressé suite à cette décision passant de 50 $/b en moyenne en décembre à 54 $/b en janvier puis 58 $/b en février (au 8 février).
Cet accord prend en considération l’incertitude du contexte, la volonté de soutenir les cours (Arabie saoudite), mais aussi la nécessité de lâcher du lest pour certains producteurs (EAU, Russie). La poursuite de cette stratégie pourrait signifier un scénario de hausse modérée des prix du pétrole cette année. Il reste que les dissensions internes laissent désormais planer un doute sur la cohésion et donc la détermination future de l’Opep+, qualités qui ont fait sa force en 2020.
La situation de certains pays Opep+, non soumis à l’accord, pourrait par ailleurs évoluer. C’est le cas de la Libye dont la production fluctue du fait de la situation intérieure : elle est passée de 1,1 Mb/j fin 2019 à 0,1 Mb/j en avril 2020 pour remonter depuis à 1,2 Mb/j.
L’élection américaine pourrait par ailleurs changer la donne en matière de politique étrangère. Joe Biden a par exemple indiqué fin 2020 que « si l'Iran revient au strict respect de l'accord nucléaire, les États-Unis rejoindront l'accord de 2015 comme point de départ pour des négociations de suivi et lèveront les sanctions contre l'Iran imposées par Donald Trump ». La levée à terme de l’embargo pétrolier, qui avait été rétabli en 2018, réduisant ainsi la production iranienne de 1,8 Mb/j, est bien sûr en jeu. La montée des tensions avec l’Iran (annonce le 31 décembre de l’enrichissement de l’uranium à 20 %, pétrolier sud-coréen arraisonné le 4 janvier) ne laisse toutefois pas préjuger de la conclusion rapide d’un accord. La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont ainsi indiqué le 16 janvier dernier être « profondément inquiets par l’annonce faite par l’Iran du lancement de préparatifs pour la production d’uranium métal ». Mais des négociations restent bien sûr envisageables.
Enfin, la situation reste incertaine quant à la relation entre les États-Unis et le Venezuela. Nicolas Maduro a rompu les relations diplomatiques avec Washington en janvier 2019, lorsque l'administration de Donald Trump a reconnu Juan Guaido comme président par intérim du pays. Après l’élection américaine, Nicolas Maduro a assuré vouloir travailler au rétablissement d'un dialogue "décent" et "sincère" avec les États-Unis.
Le président Maduro a évoqué en début d’année son intention d’atteindre une production de 1,5 Mb/j cette année, niveau atteint début 2018, contre 0,5 Mb/j depuis 6 mois. En supposant que l'administration américaine supprime les sanctions contre PDVSA, certains experts estiment que la production pourrait progresser de 0,3 à 0,5 Mb/j en quelques mois. Une reprise plus importante nécessiterait "un changement de régime, des investissements étrangers et un allégement de la dette".
Perspectives pour les shale oil
Il est très délicat de tenter d’anticiper la production américaine de pétrole tant les facteurs d’incertitude sont nombreux. Le premier est lié à la politique d’investissements qui pourrait être désormais plus prudente afin d’éviter, comme par le passé, des baisses de prix en raison d’une abondance de l’offre. La restructuration et la concentration en cours de ce secteur pourraient être de nature à éviter ce piège et à initier des stratégies plus mesurées à l’avenir.
Néanmoins, l’absence de coordination de l’industrie pétrolière américaine ne plaide pas en faveur de la prudence. Si des prix suffisants (au-delà de 50 $/b) sont atteints, la rentabilité retrouvée relancera probablement la production. Les couvertures financières permettent par ailleurs de profiter des hausses, même ponctuelles, des cours du pétrole. Il convient également de rappeler l’importance du nombre de puits en attente, peu mobilisés à ce jour (7 300 en novembre dernier, soit 1 000 de moins en un an). Rappelons que la mobilisation de 1 000 puits produit une moyenne de 0,2 Mb/j la première année.
Le second facteur est d’ordre technique. Quel sera le niveau de la productivité (production cumulée sur investissements) par puits ? Il s’agit d’un facteur essentiel qui impacte le niveau global de production et le coût unitaire de production. La production cumulée par puits augmente régulièrement depuis 2014 et ce jusqu’à l’année dernière. Quel sera le plafond ? Difficile de le dire.
Le troisième facteur est d’ordre politique lié à l’élection de Joe Biden. Sur le sujet de la fracturation hydraulique utilisée pour produire les huiles et gaz de schiste, les déclarations du Président ont évolué au fil du temps. Lors d’un débat datant de novembre dernier, il a toutefois affirmé qu'il "n'a jamais dit qu’il s'opposait à la fracturation hydraulique". Des restrictions sur les futurs permis ont été annoncées sur les terres fédérales et en offshore, ce qui pourrait avoir des conséquences sur une partie de la production pétrolière au Nouveau Mexique (0,9 Mb/j en 2019), dans le Dakota du Nord (1,4 Mb/j), dans le Wyoming (0,3 Mb/j) ou dans le Golfe du Mexique (1,9 Mb/j). Il convient toutefois de rappeler que la production hors des zones fédérales à terre et en mer, qui couvre 76 % du total (9 Mb/j sur 12 Mb/j en 2019), représente l’essentiel de la hausse de la production depuis 2014 (+2,4 Mb/j sur +3,5 Mb/j au total).
Les enjeux pour le secteur pétrolier sont potentiellement extrêmement importants sur les plans sociaux (500 000 personnes dont 220 000 dans les services), économiques (avantage compétitif), climatiques et stratégiques (indépendance pétrolière et gazière). Il est raisonnable d’estimer que l’impact à court terme de la nouvelle administration sera faible pour ce secteur.
Compte tenu de la diversité des possibles, l’anticipation de la production des shales nécessite des hypothèses notamment en matière d’activité de forage (rigs actifs ; fig. 10), sachant qu’on peut raisonnablement postuler par ailleurs une stabilité de la production unitaire par puits. Le calcul montre qu’alors la production américaine de pétrole aux États-Unis serait relativement stable en 2021 avec des écarts assez faibles selon les scénarios (autour de 11 Mb/j contre 11,3 Mb/j en 2020 et 12,2 Mb/j en 2019 ; fig. 11). Les écarts seraient en revanche beaucoup plus marqués en 2022 (11,6 à 13,0 Mb/j, 11,1 Mb/j d’après l’EIA américain).
Ces résultats signifient qu’il n’y aura pas, a priori, une forte progression de l’offre en 2021 de la production américaine comme ce fut le cas par le passé. Cela pourrait constituer un support important pour le prix, sous réserve d’une action concertée de l’Opep+ en parallèle.
Bilan du marché pétrolier en 2021
Sur la base des anticipations de l’AIE en matière de demande (+ 5,5 Mb/j en 2021), et en supposant la poursuite d’une politique de restriction de l’offre de l’Opep+, les écarts offre/demande en 2021 se traduisent par un déficit d’offre tout au long de l’année. Il se situerait en moyenne à 1,2 Mb/j, soit une réduction des stocks à hauteur de 640 Mb sur l’année (fig. 12 et 13). Cela permettrait de réduire les excédents détenus par les pays occidentaux (400 à 500 Mb environ sur une base de 92 jours de consommation) et ceux stockés en mer (300 Mb environ au 3e trimestre par rapport à 2019). Ce bilan est bien évidemment suivi avec attention par l’Opep+.
Ces tendances, si elles se confirment, seraient de nature à soutenir sensiblement les prix en 2021. Les scénarios médian et haut proposés par l’enquête de Reuters (50 à 60 $/b) semblent crédibles dans ce contexte. Ces scénarios doivent toutefois être considérés avec prudence alors que de nombreux paramètres restent incertains : croissance économique et contexte financier en 2021, politique effective de l’Opep+, évolution de l’offre de shale oil. La baisse vers les 40 $/b semble également crédible si la situation économique se détériore (effet Covid-19 non maîtrisé par exemple). Les plans de relance et les politiques actuelles de vaccination ont pour objectif d’éviter ce scénario, avec l’espoir d’une situation plus favorable au second semestre 2021.
Dans ce bilan, il convient également d’évoquer l’impact potentiel du recul de l’activité de forage (rigs actifs) au niveau mondial. En 2016, le recul par rapport à 2014 se situait à 70 % environ aux États-Unis et au Canada et à 29 % dans le reste du monde. En 2020, l’activité est à nouveau en baisse de respectivement 54 %, 33 % et 27 % par rapport à 2019 (-38 % au niveau mondial ; fig. 14).
Quel sera l’impact sur la production future ? L’AIE a estimé que le maintien des investissements au niveau atteint en 2020 sur une période d’un à cinq ans entraîneraient le retrait d’une offre comprise entre 2 à 9 Mb/j d’ici 2025. Pour assurer au minimum le renouvellement de la production des gisements en déclin, il est donc indispensable de renforcer les investissements dans les prochaines années. Sans incidence en 2021 compte tenu d’une demande modérée, cela pourrait fortement affecter l’équilibre pétrolier à moyen terme.
D’après plusieurs analyses(4), le niveau d’investissements de 2019 semble suffisant pour équilibrer le marché dans les prochaines années. Si l’on compare l’activité moyenne de 2020 à celle de 2019, l’écart en nombre d’appareils actifs est assez faible pour la plupart des régions du monde (fig. 15) hors États-Unis. Pour ce pays en revanche, à productivité constante, un doublement de l’activité de forage est nécessaire. Cet objectif renvoie au débat précédent sur l’attitude plus ou moins prudente des producteurs américains.
Globalement, l’activité de forage dépendra de nombreux facteurs comme l’évolution du prix du pétrole, le contexte géopolitique incluant le retour progressif ou non de l’Iran sur le marché et les perspectives d’évolution de la demande pétrolière. Du fait de ces incertitudes, les opérateurs pétroliers pourraient adopter une stratégie de relance modérée(5). De plus, au-delà du court terme, Ils doivent également prendre en compte les enjeux de moyen terme liés au rythme de progression de la transition écologique.
Pétrole et transition écologique : quelles perspectives ?
Souligner que la transition écologique n’a pas avancé ou n’a pas avancé assez vite depuis l’accord de Paris signé en 2015 est un constat souvent partagé. Cette assertion est bien sûr vraie dans la mesure où les tendances énergétiques mondiales actuelles nous conduisent à une hausse des températures de 3 °C (plus probable que les 6 °C ou plus comme certains l’annoncent) d’ici la fin du siècle. Nous ne sommes pas encore sur la voie des 2 °C ou mieux 1,5 °C, mais les efforts s’intensifient pour y parvenir ou s’en rapprocher (voir l’analyse de l’IDDRI(6)).
Des progrès sont ainsi déjà visibles. La demande de pétrole devrait, sur la base des mesures adoptées à ce jour(7), connaître une stagnation dans les 10 à 15 ans qui viennent, suivie d’une décroissance structurelle. Les dernières perspectives de l’AIE concernant l’évolution de la demande, mettent ainsi en évidence une quasi-stagnation après 2030, à un niveau plus faible que ce qui était prévu en 2019 (fig. 16). Cette différence s’explique par la baisse structurelle de la richesse mondiale(8), conséquence de la Covid-19, qui réduit de façon permanente la demande à hauteur d’environ 2 Mb/j d’après l’AIE.
Les divers scénarios (fig. 17) portant sur la demande de liquides (biocarburants inclus), proposés par différents organismes ou sociétés, partagent cette même vision, mais avec des nuances importantes portant par exemple sur la date du début du recul structurel de la demande. Les scénarios les plus ambitieux envisagent une demande en retrait de 40 % voire de 70 % à l’horizon 2050. Cela suppose des évolutions de rupture alors que des inerties lourdes caractérisent ce secteur.
Les changements à opérer sont bien connus et doivent porter sur l’ensemble des marchés dépendant du secteur pétrolier, en particulier le transport (voitures individuelles, bus, camions, aérien, maritime), qui représente près de 60 % de la demande pétrolière, et la pétrochimie (13 % ; fig. 18 et 19). Cela doit passer par :
- une réduction de la demande en privilégiant le report modal dans les transports, la gestion optimisée des flottes commerciales (camions, aviation), ou le recyclage du plastique ;
- une efficacité renforcée des motorisations thermiques (vers hybrides) ;
- une substitution du pétrole par des carburants et combustibles durables à l’image des biocarburants de 2e génération, du biométhane ou de l’hydrogène non carboné ;
- le déploiement de nouvelles motorisations (électrique, gaz, hydrogène).
Les freins à de telles transformations sont divers, d’abord de nature économique avec des solutions durables souvent plus coûteuses que les solutions traditionnelles. C’est le cas des biocarburants, des véhicules électriques ou de l’hydrogène. Les freins proviennent également de la relative lenteur à renouveler les parcs de véhicules, particuliers ou commerciaux (voir exemple fig. 20 et 21). Ces deux parcs vont par ailleurs doubler d’ici 2045, atteignant près de 2 milliards et 500 millions de véhicules respectivement.
Cela implique des mesures et des aides gouvernementales pour favoriser les solutions durables, pour accélérer le renouvellement de la flotte, ou pour orienter le choix des consommateurs. Des progrès technologiques, à l’image de la baisse du coût des batteries, devraient limiter, à terme, ces aides et favoriser les transitions dans le secteur pétrolier(10).
La diversité des scénarios proposés pour anticiper la demande future de pétrole s’explique par ces incertitudes. Cela résulte des hypothèses adoptées en termes de politique publique, de comportement individuel et collectif ou d’évolutions technologiques. Entre stagnation prochaine ou baisse très rapide de la demande, rien n’est acquis avec certitude. Mais, à l’évidence, la transition a commencé.
Un scénario possible : le « SDS partiel », incluant OCDE et Chine
Quelles seraient les implications pour le secteur pétrolier d’un engagement à atteindre une neutralité carbone d’ici le milieu du siècle, objectif annoncé désormais par de nombreux pays ? Si les pays OCDE et la Chine parvenaient à suivre une telle trajectoire, la consommation pétrolière mondiale serait alors en recul très sensible. Pour le quantifier, nous avons repris la trajectoire SDS pour l’OCDE et la Chine et le scénario SPS pour les autres. Dans ce scénario que l’on peut qualifier de « SDS partiel », la consommation pétrolière serait en 2040, inférieure de 19 Mb/j à ce qui est anticipé par l’AIE dans le scénario SPS (fig. 22).
Elle resterait néanmoins supérieure de 18 Mb/j à la trajectoire durable (scénario SDS). Cela s’explique par la forte croissance de la demande des pays non OCDE (fig. 25). La demande de la Chine dans ce total est faible (13 Mb/j sur un total de 47 Mb/j pour le pays non OCDE) et surtout la hausse d’ici 2040 est portée par les autres pays non OCDE (+ 13 Mb/j, dont 1 Mb/j seulement pour la Chine).
Néanmoins, même dans ce scénario « SDS partiel », la réduction des émissions d’ici 2040 est très conséquente (fig. 23). Les émissions se situeraient en effet à 9 Gt, un niveau sensiblement inférieur à celui atteint dans le scénario SPS (11,5 Gt) mais qui reste bien sûr au-dessus de celui du scénario SDS (6,1 Gt).
Bilan
2020 a été marquée par une crise économique sans précédent, faisant plonger la demande de pétrole et donc le prix du pétrole. L’Opep+, aidée par la baisse de l’offre américaine, a réussi à relativement bien gérer une situation particulièrement mouvante et incertaine. Cela explique le retour vers les 40 $/b du prix du Brent en juin 2020, niveau proche de la moyenne de l’année passée (42 $/b).
La reprise économique espérée en 2021, portée par le contrôle progressif de la pandémie s’il se réalise, devrait être un allié de poids pour l’Opep+. Il s’agira pour les pays membres de maintenir un léger déficit d’offre sur le marché de façon à réduire progressivement les stocks en excédent. Il conviendra de prendre en compte la remontée progressive de la production américaine si le prix dépasse les 50 $/b. Si la rentabilité est là, les investissements seront certainement disponibles pour relancer la production de façon à au moins permettre de réduire les dettes accumulées par les sociétés engagées dans l’exploitation des shale oil.
Sur le moyen et le long terme, des ruptures sur les approvisionnements sont envisageables si les investissements au niveau mondial se révélaient insuffisants. Toutefois, après la forte baisse de 2020, il « suffirait » de se rapprocher de l’activité en exploration/production de 2019 pour équilibrer le marché. Cela ne semble donc pas hors de portée. Un ralentissement plus rapide de la croissance de la demande de pétrole sous l’effet de la transition écologique est également envisageable. L’idée d’un plateau suivi d’une décroissance plus ou moins rapide semble actée. Les niveaux effectifs de la demande sont néanmoins encore largement incertains. La stratégie des opérateurs, pays de l’Opep+ ou compagnies pétrolières, devra s’adapter à ce monde nouveau.
Annexe 1 : Les politiques de soutien économique, facteurs de hausse des marchés
De nombreux programmes de soutiens à l’économie ont été annoncés à partir du début de la pandémie en 2020 de la part des États ou des banques centrales. Aux États-Unis, un premier plan d’un montant de 2 200 milliards de dollars (G$), avait été voté fin mars, en plein cœur de la pandémie de la Covid-19. Le nouveau président américain a proposé début janvier un nouveau plan de relance de 1 900 G$ (10 % du PIB américain). En Europe, en complément des plans nationaux(11), le Conseil européen a adopté le 21 juillet un plan d’aide globale intégrant un emprunt européen commun (Next Generation EU) d'un montant maximal de 750 G€ (aux prix de 2018) et le cadre financier pluriannuel (CFP) fixé à 1 074,3 G€ pour la période 2021-2027.
Les banques centrales proposent pour leur part des mesures qui ont pour objectifs, d’une part, la réduction des coûts de financement des États permettant de soutenir les plans de relance et, d’autre part, l’accès aux crédits pour l’ensemble des acteurs de l’économie.
La BCE a ainsi annoncé le 10 décembre le prolongement de neuf mois (jusqu’en mars 2022) de son programme exceptionnel d’achats de titres (PEPP) pour un montant maximum porté à 1 850 G€. Elle a également prolongé de 12 mois (jusqu’en juin 2022) les opérations ciblées de refinancement à plus long terme (TLTRO), un programme de prêts de liquidités aux banques destinées au financement des entreprises non financières et des particuliers. La FED, qui poursuit une politique similaire, a annoncé le 16 décembre la poursuite de sa politique de rachats d'actifs, « au moins » au niveau actuel de 120 milliards de dollars par mois.
Au-delà de l’action Opep+ de gestion de l’offre, les hausses des prix du pétrole et bien sûr des marchés financiers (fig. 26), semblent portées par ces politiques de soutien économique engagées par les banques centrales et les États. La corrélation existante entre le Brent et le Dow Jones (fig. 27) met en évidence cette influence, qui s’explique in fine par l’espoir de la réussite de ces politiques au-delà des craintes évoquées par ailleurs (poids potentiel en 2021 des prêts douteux – NPL, Non-performing loans – par exemple).Cette corrélation est loin d’être parfaite du fait des nombreux paramètres influant le prix du pétrole (anticipation de la croissance économique, mesures de lutte contre la Covid-19, actions Opep+, etc.).
Annexe 2 : Détail des accords Opep de décembre 2020 et janvier 2021
Face aux incertitudes concernant l’évolution des effets de la pandémie, l’Opep+ a choisi de revoir sa stratégie au cours des réunions qui se sont tenues en décembre 2020, puis en janvier 2021. La stratégie initiale prévoyait d’augmenter l’offre Opep+, largement réduite en 2020, de 1,9 Mb/j à partir de janvier dernier.
La réunion de décembre a abouti à un premier compromis compte tenu des divergences qui sont apparues sur la politique à tenir. Trois visions s’affrontaient : l’une, soutenue par l’Arabie saoudite, voulait repousser d’un trimestre la hausse de 1,9 Mb/j prévue par le dernier accord ; d’autres comme les Émirats arabes unis souhaitaient le respect des accords passés ; les troisièmes, portés par la Russie et le Kazakhstan, proposaient d'augmenter progressivement la production au cours du premier trimestre 2021. L’accord a retenu une hausse de la production de seulement 0,5 Mb/j en janvier. Il a été décidé par ailleurs d’organiser des réunions ministérielles mensuelles pour proposer d’éventuels ajustements à la hausse, à hauteur de 0,5 Mb/j au maximum par mois, en fonction du contexte.
La 13e réunion ministérielle de l’Opep+, initiée le 4 janvier, s’est poursuivie sur une journée supplémentaire faute de consensus initial. L’Arabie saoudite proposait à nouveau une « approche prudente » face aux incertitudes sur la demande. La Russie proposait de son côté de renforcer la production afin de ne pas perdre de parts de marché par rapport en particulier aux producteurs américains. Un compromis a une nouvelle fois été adopté avec une redéfinition des quotas pour le 1er trimestre 2020. La « surprise » est venue de l’Arabie saoudite annonçant, en marge de l’accord, faire un effort supplémentaire en réduisant son offre de 1 Mb/j en février et mars.
Guy Maisonnier - guy.maisonnier@ifpen.fr
Manuscrit remis en février 2021
(1) Voir l’estimation faite en septembre 2020 (Le marché pétrolier en territoire inconnu), réactualisée en février.
(2) Une étude de l’AIE estime les impacts sur la consommation pétrolière mondiale à 0,25 Mb/j dans l’hypothèse d’une journée par semaine en télétravail pour ceux qui peuvent le faire (30 à 40 % des actifs dans les pays occidentaux ; 10 à 20 % dans les autres pays). Cet impact relativement faible, ne représente que de l’ordre de 1 % de la consommation du secteur des transports individuels.
(3) Le début d’année 2020 était marqué par des avancées concernant l’accord commercial sino-américain et des tensions importantes entre les États-Unis et l’Iran ce qui soutenaient les cours du pétrole.
(4) Voir en particulier la fiche IFPEN « Investissements, activités et marchés en exploration-production »
(5) Les estimations IFPEN des investissements en E&P en 2021 se situent entre -15 % et +10 % des montants 2020, sur la base des anticipations de prix pouvant varier entre 40 $ et 56 $/b.
(6) L’IDDRI, Institut indépendant de recherche sur le développement durable, soulignait qu’en novembre 2020, plus de 110 pays se sont engagés sur un objectif de zéro émission nette. Au total, ils représentent près de la moitié du PIB mondial et des émissions mondiales de CO2, et incluent en particulier l’ensemble des pays du G7 et la majorité des pays du G20.
(7) En particulier les « contributions déterminées au niveau national » ou INDC adoptées lors de la Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques.
(8) Voir l’analyse IFPEN du 9 septembre.
(9) Scénarios AIE : « Stated Policies Scenario » ou SPS et « Sustainable Development Scénario» ou SDS. Le premier, en ligne avec les engagements pris lors des accords de Paris en 2015, permet de limiter l’augmentation de la température en dessous de 3 °C par rapport au niveau préindustriel (2,7 °C à 3,2 °C avec une probabilité de réalisation de 50 % à 66 %). Le deuxième s’inscrit dans le cadre des objectifs des accords de Paris visant à maintenir la hausse des températures bien en-deçà des 2 °C, la cible « optimale » se situant à 1,5 °C.
(10) Exemple avec la proposition du 9 décembre dernier de la Commission européenne d’une « Stratégie de mobilité durable et intelligente ».
(11) Voir l’analyse : « Les effets de la crise Covid-19 sur la productivité et la compétitivité », 2e rapport du Conseil national de productivité, janvier 2021