08.09.2020
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Les biocarburants dans le secteur des transports routiers
La consommation mondiale d'énergie dans le secteur des transports routiers s’élève en 2018 à un peu plus de 2,1 Gtep, soit une hausse de 1,5 % par rapport à 2017. La part des carburants alternatifs à l'essence et au gazole pétroliers stagne à 7,7 % des carburants consommés bien que leur quantité ait augmenté entre 2017 et 2018 : 161,1 Mtep à 163,4 Mtep. Parmi ces alternatives (biocarburants, GPL(1), GNV(2),électricité), les biocarburants représentent 85,1 Mtep, soit une part de marché de 52 % des carburants alternatifs (fig.1). Leur consommation a progressé de 7 % entre 2017 et 2018.
Source : IFPEN, d’après Enerdata et FO Licht’s
Dans le monde, le volume de biocarburants consommés dans les transports est en constante progression depuis 2011. Si les taux de croissance de l’éthanol et du biodiesel EMAG (esters méthyliques d’acide gras) ont connu des ralentissements autour de 2015-2016, la consommation repart à la hausse avec l’émergence du marché des HVO (Hydrotreated Vegetable Oil) en 2017, puis pour l’ensemble des produits en 2018 (fig. 2).
Source : IFPEN, d’après FO Licht’s
À l’échelle continentale, les taux d’incorporation de biocarburants dans les carburants routiers varient selon les régions, mais c’est l’Amérique latine qui affiche toujours le taux le plus élevé à 10,8 % (en énergie) grâce à son marché éthanol qui atteint à lui seul un taux d’incorporation de près de 14 % dans l’essence. L'Amérique du Nord puis l'Europe suivent ensuite avec des taux respectifs de 6,3 % et 5,1 % (en énergie). En Asie, ce taux n’est que de 1,4 %, mais il s’agit néanmoins d’une zone où les investissements et les politiques publiques en faveur des biocarburants sont, ces dernières années, parmi les plus importants. En effet, dans la plupart des pays du monde, et particulièrement en Asie, malgré des taux d’incorporation relativement stables, le marché se développe rapidement avec la croissance de la demande en carburants routiers.
En Europe, la consommation totale de biocarburants dans le transport routier oscillait entre 13 et 14 Mtep depuis 2011, marquant le ralentissement de la période de croissance du marché communautaire ainsi que de nombreuses incertitudes sur les évolutions réglementaires. Depuis 2017, l’Union européenne (UE) observe de nouveau une croissance à deux chiffres dont un taux de croissance de 12 % entre 2017 et 2018, pour atteindre une consommation totale de près de 17 Mtep. Cette reprise de la croissance est principalement liée à la hausse de consommation de biodiesel pour lequel certaines filières bénéficient d’une réglementation attractive via un mécanisme de double comptage pour l’atteinte des objectifs de la directive Energies renouvelables (RED). Cette dernière ayant fait l’objet d’une refonte courant 2018 est devenue REDII(3), elle fixe de nouveaux objectifs d’incorporation entre 2021 et 2030, favorisant ainsi la visibilité des industriels et notamment des investisseurs.
En 2018, le taux de pénétration des énergies renouvelables pour le secteur européen des transports s’élève à 8,3 % (en énergie)(4), un taux en constante progression en vue d’atteindre l’objectif réglementaire de 10 % fixé pour l’année 2020(5). Parmi les États membres de l’Union, la Suède et la Finlande ont déjà dépassé cet objectif (29,7 % et 14,9 % respectivement). L’Autriche est proche du seuil avec 9,8 %, suivie par les Pays-Bas à 9,6 %. La France et le Portugal se positionnent en 5e position avec un taux de 9 %. À noter que la Norvège dispose de politiques volontaristes dans le secteur avec un taux d’énergies renouvelables de 20 % dans le transport.
Les substituts à l’essence
Depuis l’émergence du marché des biocarburants, l’éthanol reste le principal substitut aux carburants essence utilisés à travers le monde. Les États-Unis se positionnent toujours comme le premier producteur suivi par le Brésil. Ils comptabilisent à eux seuls 84 % du marché mondial. Avec des volumes nettement moindres, la Chine, le Canada, l’Inde et la Thaïlande complètent le top 6 des pays producteurs. La France se positionne, quant à elle, au 8e rang mondial et 1er pays producteur européen. Bien que toujours en croissance, le marché de l’éthanol carburant observe une dynamique moins importante en 2019 que les deux années précédentes.
Source : IFPEN, d’après FO Licht’s
La croissance de la production a été essentiellement assurée par le Brésil et l’Union européenne, suivie des trois principaux pays producteurs asiatiques (l’Inde, la Chine et la Thaïlande). La production canadienne marque également un taux de croissance à deux chiffres.
Si la consommation américaine se maintient, la production des États-Unis a été réduite pour la première année de près de 2 %. En effet, malgré un prix de marché très compétitif induit par des stocks élevés en début de période (tableau 1), les exportations américaines de bioéthanol sont en baisse de 12 % entre 2018 et 2019. En cause, la guerre économique avec la Chine, qui a réduit ses importations d’éthanol de près de 90 %, et la mise en place d’un contingent tarifaire plafonnant les imports d’éthanol au Brésil. Cette tendance devrait se poursuivre sur l’année 2020 du fait de la baisse généralisée de la demande induite par la pandémie de Covid-19.
Source : IFPEN, d’après Argus
Par ailleurs, l’éthanol de maïs américain est confronté à une baisse d’attractivité dans les zones où l’intensité carbone des filières biocarburants est réglementée, comme en Union européenne, mais également nationalement avec le LCFS(6) en Californie. C’est ainsi, qu’en 2019, l’éthanol de maïs ne représentait déjà plus que 75 % du marché national américain (contre 94 % en 2018).
Au Brésil, on observe la situation inverse avec une forte croissance de l’usage du maïs pour la production d’éthanol en substitution à l’usage de la canne à sucre, dont la demande est également attendue à la hausse mais pour approvisionner la filière sucre alimentaire. À partir de 2020, le maïs sera probablement la 2e matière première pour la production d’éthanol, derrière la canne et devant les mélasses.
En Union européenne, la production d’éthanol est majoritairement assurée par la transformation des céréales (plus de 80 %) dont également une part croissante de maïs, tandis que la part de la betterave est en nette baisse. Du fait de l’augmentation des exports européens de céréales et de la baisse des stocks, les prix sont en hausse impactant ainsi directement le prix de l’éthanol européen (tableau 1). À court terme une part croissante de mélasses, et autres sous-
produits de l’industrie du sucre et de l’amidon, devrait être observée, en vue d’atteindre les objectifs biocarburants avancés de la directive RED. Du fait de faibles volumes disponibles sur ce type de ressources, les filières lignocellulosiques, dites de 2e génération, devront prendre le relais à court/moyen terme ; une dynamique qui s’amorce au travers des annonces récentes de projets industriels tels que INA en Croatie ou PKN en Pologne et Clariant en Roumanie dont les entrées en production sont planifiées sur la période 2021–2024.
Après les États-Unis et l’UE, la Chine se positionne comme le 3e utilisateur de céréales pour la production d’éthanol. Les stocks nationaux de matières premières ne seront néanmoins pas suffisants pour assurer la généralisation de l’incorporation de 10 % d’éthanol dans l’ensemble de la consommation d’essence chinoise, comme l’ambitionne le gouvernement. D’autres types de biomasses devront alors rapidement être mobilisés.
Les substituts au gazole
On trouve aujourd’hui deux principaux biocarburants incorporés au pool gazole routier : les EMAG et les HVO. Ils mobilisent des ressources biomasses contenant des acides gras comme les cultures oléagineuses (colza, palme, soja, etc.) ou encore les huiles usagées ou les graisses animales. À la différence des EMAG, dont l’incorporation est limitée à un maximum de 10 % vol. au gazole moteur distribué à la pompe en Union européenne, l’HVO peut être incorporé sans limite de mélange dans le gazole conventionnel. Industrie plus jeune mais en forte croissance, l’HVO représente aujourd’hui 12 % des biodiesels consommés dans le monde (fig. 2).
Le marché mondial des biodiesels a enregistré une croissance de 13 % entre 2018 et 2019, une croissance observée dans la plupart des zones, hormis quelques pays d’Amérique du Sud pour cause de crises économiques locales (en Argentine et Colombie notamment). En 2019, l’Europe couvre à elle seule 38 % du marché des biodiesels, l’Allemagne et la France se positionnant historiquement comme les 1er et 2e producteurs européens d’EMAG. Le reste de la production mondiale est réparti dans des proportions similaires en Asie, Amérique du Nord et du Sud (fig. 4).
Source : IFPEN, d’après FO Licht’s
Si la production européenne d’EMAG a légèrement diminué entre 2018 et 2019 (12,3 Mt vs 11,8 Mt), la croissance du biodiesel a été assurée par la production d’HVO qui a progressé de 13 % pour atteindre 3 Mt. Une tendance similaire a été observée au États-Unis avec une production ayant atteint 1,7 Mt. Ces deux zones représentent à elles seules 83 % de la production mondiale d’HVO. Les raffineurs montrent un engouement particulier pour ce produit dont les caractéristiques chimiques facilitent son utilisation en mélange, et dont le procédé de production est proche de celui de certaines unités de raffinage. C’est ainsi que Total en France et ENI en Italie ont reconverti certains de leurs sites de raffinage de pétrole en sites de production d’HVO. À noter que cette dynamique a amené le raffineur finlandais Neste à être le 1er industriel producteur de biodiesel toutes technologies confondues grâce à ses 2,7 Mt de capacités de production en Europe et à Singapour.
Malgré une demande en gazole routier qui se stabilise ces dernières années, et probablement en baisse sur 2020 avec l’effet Covid-19, la part de marché des biodiesels progresse grâce à des leviers réglementaires en faveur de ce marché et notamment des biodiesels (EMAG et HVO) issus d’huiles résiduelles (huiles de cuisson usagées, graisses d’abattoirs notamment). En effet, l’UE permet un double comptage de ce type de produits pour l’atteinte des objectifs 2020 et 2030, tandis que LCFS californien favorise les filières induisant de fortes réductions de GES, comme le permettent les filières lignocellulosiques ou celles issues de déchets.
Par ailleurs, tout comme en 2018, l’Indonésie et le Brésil ont affiché les plus forts taux de croissance de production d’EMAG grâce à des mandats d’incorporation en forte hausse (généralisation du B20(7) et du B11(8) respectivement).
Ces taux de croissance vont continuer de progresser en 2020, leur permettant probablement de limiter la baisse de la demande induite par l’effet Covid-19.
Si la dynamique du marché HVO semble importante, le développement de la filière reste, en Europe et Amérique du Nord, limité par la disponibilité des ressources en huiles et graisses satisfaisant les exigences de durabilité fixées par la législation dans ces deux zones. En effet, les huiles végétales européennes sont déjà sous tension via une importante mobilisation par la filière EMAG (+ de 80 % des huiles de colza récoltées en 2019) tandis que les circuits de collecte des huiles usagées sont peu développés et coûteux. Par ailleurs, certaines ressources en huiles ont été identifiées comme pouvant présenter des performances environnementales trop faibles (gains GES et risques ILUC(9) notamment). En ce sens, la Commission européenne a choisi de limiter l’usage des huiles de type alimentaire à leur niveau enregistré en 2020, ainsi que de bannir l’usage de l’huile de palme pour la production de biocarburants contribuant à l’objectif ENR transport de la REDII en 2030. À noter qu’un nouvel acte délégué de la directive doit prochainement définir les critères de certification des biocarburants présentant de faibles risques ILUC et une consultation concernant la liste des ressources permettant l’obtention de biocarburants pouvant bénéficier d’un double comptage (annexe IX part A et B(3)) est en cours. Ces mises à jour attendues dans les prochains mois devraient permettre de mieux évaluer le potentiel des différentes filières biodiesel et de statuer sur les sources d’approvisionnement possibles pour les unités HVO en Europe.
Source : IFPEN, d’après Argus
Sur le marché international, l’Europe reste le 1er exportateur de biodiesel, une tendance accentuée en 2019 du fait de la hausse de la consommation nationale dans d’autres pays exportateurs comme l’Indonésie, et du fait de la baisse de la production en Argentine, autre grand pays exportateur.
En termes de marchés des commodités agricoles, c'est principalement le marché du soja et de l'huile de palme qui devrait ressentir les effets de l'augmentation des mandats au Brésil et en Asie du sud-est. L’huile de palme redevient ainsi, en 2019, la 1re matière première à destination du biodiesel dans le monde (soit 30 % des approvisionnements). L’UE mobilise en premier lieu sa production locale d’huile de colza (soit 42 % des approvisionnements), mais la récolte 2019 a été particulièrement faible, ce qui devrait induire des importations d’huiles et d’esters en hausse pour assurer les mandats de la RED. Les huiles et graisses usagées bénéficiant d’un double comptage sont particulièrement plébiscitées. Disponibles en quantités limitées, elles font également l’objet d’importations, en provenance majoritairement d’Asie et en particulier de Chine. Courant 2019, l’Irlande, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, principaux importateurs européens de ces huiles usagées, ont été la cible d’enquêtes pour des faits de tentatives de fraudes (importation d’huile de palme déguisée en huiles usagées), nécessitant aujourd’hui pour chacun des États de renforcer les exigences de traçabilité des matières premières à destination du marché biodiesel.
Le BIOMÉTHANE POUR MOTORISATIONs gnv
Carburant renouvelable encore très minoritaire, sa consommation progresse néanmoins dans certaines zones où le gaz naturel est historiquement présent parmi les carburants routiers. Aujourd’hui majoritairement produit par la digestion anaérobie de déchets organiques (méthanisation), ou via la récupération de gaz de décharges, le biogaz est un combustible renouvelable principalement utilisé pour la production de chaleur et d’électricité. Seule une petite part (moins de 10 %) est épurée pour obtenir un biométhane susceptible d’être injecté dans le réseau de gaz naturel ou utilisé en tant que carburant dans des moteurs de véhicules dédiés.
En 2019, l’Europe n’a consommé que 0,18 Mtep de biométhane carburant, soit 1 % de sa consommation de biocarburants. Cet usage a été recensé dans neuf pays de l’Union européenne, essentiellement en Suède (63 %) puis dans une moindre mesure en Allemagne et au Royaume-Uni. L’usage carburant représente aujourd’hui 5,7 % de la totalité du biogaz consommé en Europe.
Aux États-Unis, les flottes de véhicules GNV de type poids lourd, bus et autres véhicules de collecte de déchets, se sont fortement développées ces cinq dernières années. En 2019, la consommation de GNV s’est élevée à 2,4 Mtep et 38 % de ce gaz était renouvelable, soit 0,94 Mtep. Aux États-Unis, l’origine de ce gaz renouvelable est essentiellement issue de la récupération de gaz de décharge et de biogaz issus des stations de traitement des eaux usées.
Les biocarburants dans le transport aérien
Avec la prise de conscience des impacts environnementaux actuels du transport aérien international (qui représente 13 % des émissions de CO2 du transport) et face aux perspectives de croissance du secteur (pré Covid-19), les États membres de l’Organisation internationale de l’aviation civile (ICAO) ont acté un objectif de stabilisation des émissions de GES à partir de 2021. Pour l’atteindre, l’usage de carburants alternatifs durables (SAF(10)) est considéré comme le principal levier de réduction d’émissions avec les systèmes de compensations carbone du CORSIA(11). Des initiatives de développement de filières biocarburants pour l’aviation sont alors de plus en plus nombreuses. Compte tenu des fortes contraintes sur la qualité des kérosènes utilisés à travers le monde, les SAF aujourd’hui normalisés pour être mélangés au kérosène sont des carburants dits drop-in de composition proche, et pour certains quasi identique, à leur homologue fossile. On compte à ce jour huit bio-kérosènes normalisés ASTM(12) parmi lesquels certaines filières sont déjà matures ou proches de la maturité industrielle comme les HEFA-SPK(13), coproduits des unités biodiesel HVO, les FT-SPK(14), coproduits de la voie BtL de production de biogazole de synthèse lignocellulosique, et les ATJ-SPK(15), issue de la conversion de l’éthanol ou de l’isobutanol en kérosène de synthèse. Ces bio-kérosènes sont aujourd’hui normalisés pour être utilisés en mélange jusque 50 % vol. dans le kérosène classique.
Ces dernières années, de nombreuses initiatives de démonstration et de marketing ont généré la consommation de différents types de bio-kérosènes à travers le monde sur des volumes et des durées limités. En 2019, on comptabilise une production mondiale d’environ 100 000 tonnes de bio-kérosène mais seulement quelques milliers de tonnes font aujourd’hui l’objet d’une utilisation en continu, pour alimenter l’aéroport de Los Angeles.
En effet, l’achat du carburant est un poste de dépense majeur pour les compagnies aériennes et l’incorporation de ces carburants alternatifs constitue un surcoût par rapport à un carburant fossile. Si les politiques nationales et régionales pour le transport et l’environnement incluent de plus en plus le secteur aérien (REDII(3)et EU-ETS en UE, RFS(16) et LCFS(6) aux USA, Renovabio au Brésil, etc.), et si les annonces d’objectifs gouvernementaux d’incorporation se multiplient (à l’image de l’objectif d’incorporation de 5 % de SAF en France à l’horizon 2030), les mesures réglementaires ne sont à ce jour pas suffisamment incitatives pour conduire à une incorporation régulière (hormis les obligations nationales établies en Suède et Norvège). Bien que des capacités de production soient déjà existantes grâce aux synergies possibles avec le marché du biodiesel routier, des mesures politiques incitatives concrètes et dédiées au secteur aérien, comme des objectifs de réduction de GES ambitieux ou de prix élevés du CO2, sont attendues pour permettre l’émergence d’un nouveau marché pour ces biocarburants.
Le point sur la France
Au regard des objectifs européens de pénétration des énergies renouvelables à l’horizon 2020, le secteur transport français est aujourd’hui relativement bien positionné (9 % PCI en 2018 contre 10 % attendus en 2020, en tenant compte des comptages multiples). En 2018, la consommation totale de biocarburants liquides s’est élevée à 3,2 Mtep, une consommation quasi identique à l’année précédente.
Depuis 2017, le carburant SP95-E10 contenant jusqu’à 10 % en volume d’éthanol est devenu le premier carburant consommé par les Français dans les véhicules essence avec une part de marché de près de 48 % en 2019 et qui a atteint 50 % sur le mois de janvier 2020. La France a été le premier pays européen à déployer l’usage de l’E10 en 2009, le nombre d’États membres l’adoptant s’est multiplié dernièrement pour atteindre le mandat d’incorporation européen 2020 de la RED.
Quant au superéthanol E85 (essence contenant jusqu’à 85 % en volume d’éthanol), il a connu un taux de croissance record de + 85 % entre 2018 et 2019. S’il ne représente encore que 3 % des essences consommées, il bénéficie d’un prix attractif et de l’homologation de 14 modèles de boîtiers(17) permettant son utilisation dans une large gamme de véhicules essence classiques. Par ailleurs, le parc français compte environ 39 000 véhicules flexfuel d’origine adaptés à la fois à l’usage de l’E85 et des essences classiques. Les acquéreurs de véhicules flexfuel d’origine bénéficient d’un abattement de 40 % sur les émissions de CO2 pour le calcul du malus écologique, pourvu que le modèle émette moins de 250 g CO2 eq./km.
Source : SNPAA 2019 d’après CPDC, DGDDI
Pour l’année 2020, une baisse conséquente de la production de betterave sucrière est attendue faisant suite aux attaques de nuisibles ainsi qu’à une diminution de la surface cultivée. Cependant, au cours du 1er semestre 2020, avec la baisse de la demande en éthanol carburant liée au confinement, les producteurs d’alcool agricole ont pu orienter leur production vers le marché des gels hydroalcooliques dont la demande a été multipliée par trois sur le seul mois de mars.
En termes de perspectives, la loi de finances 2019 a rehaussé les objectifs d’incorporation d’énergies renouvelables dans les essences (à 7,7 % en 2019 et 7,8 % en 2020) et dans les gazoles (à 7,9 % en 2019 et 8 % en 2020). Par ailleurs, la programmation pluriannuelle de l’énergie fixe des objectifs d’incorporation spécifiques pour les biocarburants avancés dans les pools essence et gazole en 2023 (1,2 % et 0,4 % respectivement) et en 2028 (3,8 % et 2,8 % respectivement). À noter que les biocarburants avancés incorporés au kérosène pour le transport aérien pourront être comptabilisés dans l’objectif du pool gazole.
À ce jour, en dehors d’une trentaine de milliers de tonnes d’éthanol issue de résidus viniques produits chaque année dans les distilleries de quelques régions viticoles françaises, la France ne dispose d’aucune installation dédiée à la production de biocarburants avancés alors que des technologies françaises sont disponibles pour l’ensemble des pools carburants. Plusieurs d’entre elles sont développées notamment en partenariat avec des acteurs majeurs français et européens par IFPEN(18). Ce n’est cependant pas sur le territoire français que les premières licences de ces procédés vont voir le jour, puisque c’est la compagnie Oil and Gas croate INA qui a fait le choix de la technologie FuturolTM (19) pour la construction de sa première usine de production d’éthanol lignocellulosique à partir de résidus agricoles et de miscanthus, à Sisak en Croatie.
Il faut enfin noter, en début d’année 2020, le lancement d’une initiative de l’État en faveur des biocarburants avancés, menée conjointement par les ministères de la Transition écologique et solidaire, de l’Économie et de l’Agriculture via un appel à manifestation d’intérêt (AMI) concernant la production de biocarburants aéronautiques durables. Cet AMI fait suite à la publication de la feuille de route fixant les objectifs d’incorporation de biocarburants dans le transport aérien en France(20). Il a pour objectif d’identifier les projets d’investissement dans des unités de production de biocarburants aéronautiques de 2e génération en France. La technologie Biomass-to-Liquid (BtL) BioTfueL(21) capable de produire un bio-kérosène de type FT-SPK(14) à partir de résidus agricoles et forestiers grâce à la synthèse Fischer-Tropsch se positionne parmi les options technologiques de futurs projets.
Effets Covid-19 et investissements attendus
Au cours du premier semestre 2020, la crise sanitaire actuelle a freiné l’économie mondiale de manière générale. En particulier, le secteur de la mobilité a été très durement touché, plongeant la demande en produits pétroliers à des niveaux encore jamais atteints, notamment pour les carburants aéronautiques et l’essence. De fait, la demande en biocarburants a elle aussi subi une des plus sévères crises depuis leur introduction sur le marché. Au niveau mondial, c’est l’éthanol qui a été le plus durement touché étant donné son utilisation prédominante dans les transports routiers et principalement en matière de transport de passagers. Le biodiesel a bénéficié d’une utilisation plus large que celle du transport routier de passagers ainsi que de la hausse des mandats d’incorporation dans plusieurs pays.
Alors que les États-Unis et le Brésil subissent une baisse drastique de leur production d’éthanol pour 2020, d’autres régions sont également touchées mais dans une moindre mesure étant donné leur plus faible dépendance au marché. Au cours de ce premier semestre, les unités de production d’éthanol américaines, pour environ 40 % d’entre elles, tournent au ralenti, un peu moins d’un quart fonctionnent à plein régime, tandis qu’un peu plus d’un tiers sont à l’arrêt.
Au Brésil, les unités de production ont ajusté à la hausse le ratio de production entre le sucre et l’éthanol, permettant de surmonter ainsi les difficultés économiques des éthanoliers.
En Europe, la diminution de la demande en éthanol pour 2020 est estimée à 13 % tandis que celle du biodiesel issu de biomasse végétale se situe aux alentours de 7 %. De plus, les éthanoliers européens craignent une inondation du marché des produits américains et brésiliens étant donné les stocks très élevés dont ils disposent à un moment où les frontières commerciales commencent à rouvrir. Les huiles usagées ont été une ressource sous tension étant donné la fermeture des restaurants. À l’inverse, l’HVO devrait connaître une augmentation de la demande en 2020 liée aux objectifs d’incorporation très élevés dans les pays scandinaves.
En termes d’investissements, si certains projets initialement prévus en 2020 ont pu être reportés, plusieurs annonces se sont néanmoins déjà concrétisées avec des niveaux d’investissements potentiellement proches des niveaux observés entre 2016 et 2018 (fig. 6), sous réserve de nouvelles annonces de report d’ici fin 2020.
Source : d’après F.O. Licht’s, juin 2019
En 2020 comme en 2019, ce sont les projets d’ouverture de nouvelles unités HVO et d’éthanol de maïs brésilien qui représentent la plus grande partie des investissements. On peut par ailleurs noter cette année le retour des investissements dans les filières avancées et en particulier pour des unités de production d’éthanol lignocellulosique.
En Europe, on comptabilise depuis 2019 quatre nouveaux projets d’unités HVO, en Pologne (Orlen/300 kt), en Suède (Preem/630 kt ; St1/200 kt) et en Finlande (UPM/500 kt) ainsi qu’un projet d’extension de capacités en Italie (ENI/600 kt). Ces projets vont augmenter les capacités de production européennes d’HVO de plus de 2,2 Mt d’ici cinq ans. Des projets sont également en cours aux États-Unis, en Chine et au Paraguay.
Ces derniers mois la majorité des projets de développement d’unités biocarburants sont issus de partenariats avec des acteurs du transport aérien. Au-delà des projets HVO pouvant potentiellement alimenter le
marché des SAF, on recense deux projets d’unités greenfield dédiées en Europe : SkyNRG avec l’aéroport d’Amsterdam pour une unité de production de 100 kt d’HEFA-SPK et Altalto au Royaume-Uni avec une première unité FT-SPK issue de déchets type CSR(22). Aux États-Unis, en dehors des unités HVO pouvant produire des HEFA-SPK, on recense à relativement court terme trois projets d’unités BtL en mesure de produire du FT-SPK14 (Red Rock Biofuels et deux unités Fulcrum Bioenergy) puis à plus long terme, sur la base de projets démonstrateurs en cours, deux unités de type ATJ-SPK15 (Gevo et LanzaTech).
Par ailleurs, parmi les filières avancées, les investissements dans les unités de production d’éthanol lignocellulosique semblent de nouveaux se concrétiser depuis l’année dernière, avec un total de six projets en Union européenne (Roumanie, Pologne, Finlande, Slovaquie, Bulgarie et Croatie), un projet en Chine et une dizaine de projets en Inde. Une dynamique qui pourra se poursuivre dans les zones où la demande en filières avancées sera spécifiquement soutenue (comme en Californie et dans un certain nombre de pays européens) et où la demande en carburants et l’offre en biomasse lignocellulosique sont importantes (comme certains pays d’Asie). D’une manière générale, dans le contexte économique actuel induisant une baisse des prix du brut et des carburants fossiles, le maintien, voire le développement, des politiques de soutiens aux biocarburants est cruciale pour maintenir la croissance du secteur.
Daphné Lorne - daphne.lorne@ifpen.fr
Anne Bouter - anne.bouter@ifpen.fr
Manuscrit remis en septembre 2020
[1] GPL : Gaz de pétrole liquéfié
[2] GNV : Gaz naturel véhicule
[3] Directive (UE) 2018/2001 (refonte)
[4] Taux d’incorporation tenant compte des comptages multiples
[5] Directive 2009/28/CE relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables
[6] LCFS : Low Carbon Fuel Standard, réglementation de l’État de Californie visant la réduction des émissions de GES du secteur transport.
[7] B20 : Gazole comportant jusqu’à 20 % en volume de biodiesel EMAG
[8] B11 : Gazole comportant jusqu’à 11 % en volume de biodiesel EMAG
[9] Risque ILUC (Indirect Land Use Change) : risque d’émissions de GES liés à des changements indirects d’usages des sols
[10] SAF : Sustainable Aviation Fuels
[11] CORSIA (Carbon Offseting and Reduction Scheme for International Aviation): https://www.icao.int/environmental-protection/pages/climate-change.aspx
[12] ASTM : American Society for Testing and Materials International
[13] HEFA-SPK : Hydroprocessed Esters and Fatty Acids – Synthetic Paraffinic Kerosene
[14] FT-SPK : Fischer-Tropsch – Synthetic Paraffinic Kerosene
[15] ATJ-SPK : Alcool-to-jet - Synthetic Paraffinic Kerosene
[16] RFS : Renewable Fuel Standard
[17] https://www.bioethanolcarburant.com/boitiers-bioethanol-rouler-facilement-au-superethanol-e85
[18] https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/innovation-et-industrie/nos-expertises/energies-renouvelables/biocarburants/nos-solutions
[19] https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/article/bioethanol-avance-en-route-vers-commercialisation-technologie-futuroltm
[20] Plus d’infos sur la feuille de route : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/lancement-feuille-route-des-biocarburants-aeronautiques-durables-dans-transport-aerien-francais
[21] Plus d’information sur la technologie BioTfueL sur : https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/innovation-et-industrie/nos-expertises/energies-renouvelables/biocarburants/nos-solutions
[22] CSR : Combustible solides de récupération