26.05.2021
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Matériau « roi du monde moderne », l’aluminium a vu sa production tripler en vingt ans et la transition écologique promet de l’utiliser toujours plus massivement dans les technologies bas-carbone. Outre la pression sur les ressources, la domination de la Chine sur les activités de raffinage et la situation de dépendance que cela entraîne notamment pour l’Europe, la question environnementale interpelle pour ce métal à forte empreinte carbone.
- L’aluminium : un des métaux rois du monde moderne
- Où se trouve la bauxite ? Qui la produit ?
- Faut-il s’inquiéter des ressources en bauxite ?
- Quels autres risques pour l’aluminium ?
- L’essentiel à propos de l’aluminium
L’aluminium : un des métaux rois du monde moderne
L’aluminium est l’élément métallique le plus abondant de la croûte terrestre après le silicium et le second métal le plus utilisé après le fer. Il est particulièrement apprécié pour sa malléabilité, sa résistance naturelle à la corrosion ainsi que son rapport légèreté/solidité. L’aluminium est devenu absolument incontournable dans nos sociétés modernes et on le retrouve dans de nombreux secteurs de l’économie, comme le transport, la construction, le secteur électrique ou le conditionnement (Graphique 1).
Bien que l’aluminium soit contenu dans de nombreux minéraux (des oxydes et des silicates principalement), il est difficile de l’en extraire. De ce fait, seule la bauxite est exploitée pour la production d’aluminium (El Latunussa, 2020). Ce minerai riche en alumine (Al2O3) et en oxydes de fer est ensuite raffiné en un produit intermédiaire, l’alumine, laquelle est ensuite fondue en aluminium (Graphique 2).
L’aluminium est employé de façon croissante dans les technologies de la transition bas-carbone. On le retrouve ainsi dans le packaging des batteries, en tant que cathode dans les batteries Lithium Nickel Cobalt oxyde d’Aluminium (NCA) et dans les piles à combustibles alimentées à l’hydrogène. En raison de sa légèreté, c’est un élément privilégié des nacelles et des pales d’éoliennes et on le retrouve également dans les aimants permanents. En ce qui concerne les panneaux photovoltaïques, il est largement utilisé pour les cadres et les onduleurs. Les infrastructures de raccordement électrique sont d’autre part friandes de ce métal. Enfin, c’est un élément massivement employé dans le domaine de la mobilité en raison de sa légèreté ainsi que de sa résistance (Huisman et al., 2020).
Où se trouve la bauxite ? Qui la produit ?
Des ressources et réserves situées dans les régions tropicales et subtropicales
L’estimation des ressources en bauxite est comprise entre 55 et 75 milliards de tonnes (Gt) au niveau mondial (USGS, 2021). On distingue deux catégories principales de dépôts de bauxite : les bauxites karstiques sont essentiellement localisées dans les Caraïbes (Jamaïque), en Méditerranée (en Grèce, en France), en Chine, en Russie (Oural central) et au Kazakhstan ; les bauxites latéritiques, principales sources de production mondiale, se trouvent en Afrique (Guinée), en Asie du Sud (Inde), en Australie, en Amérique du Nord et du Sud (Hill and Sehnke, 2006) (Graphique 3).
D’après les estimations fournies par l’U.S Geological Survey (2021), les réserves mondiales de bauxite sont peu concentrées (HHI de 858) (Graphique 4) et s’élèvent à 30 Gt. Elles se situent principalement dans des zones tropicales ou subtropicales : la Guinée (24,9 %), l’Australie (17,2 %), le Vietnam (12,5 %), le Brésil (9,1 %) et la Jamaïque (6,7 %) (Carte 1).
Une production minière modérément concentrée
Les deux pays détenant les plus importantes réserves de bauxite dominent les extractions. À elles deux, l’Australie (29,6 %) et la Guinée (22,1 %) totalisent ainsi plus de la moitié de la production minière mondiale. La Chine, dont les réserves sont limitées (3,4 %), pèse néanmoins pour 16,2 % dans la production mondiale. Ce trio de tête est complété par le Brésil (9,4 %), l’Indonésie (6,2 %) et l’Inde (5,9 %). En Europe, quatre pays produisent de la bauxite (la Grèce, la France, la Hongrie et la Croatie) mais représentent moins de 1 % du volume global (El Latunussa, 2020) (Carte 1 et Graphique 4) (USGS, 2021).
On remarquera également que si l’Australie est depuis plus de deux décennies le premier producteur de bauxite, son poids relatif dans la production mondiale a diminué (39 % en 1996) en raison de la montée en puissance des pays de l’ouest africain et du sud-est asiatique (USGS, 2021).
Il est aussi intéressant de mentionner les cas indonésiens et malaisiens. Quasiment absente du paysage des extractions minières de bauxite, l’Indonésie a fait une entrée fracassante dans le classement mondial en 2011 et a représenté près de 20 % de la production en 2013 jusqu’à l’interdiction des exportations du minerai par le gouvernement en janvier 2014 et l’effondrement de la production domestique. La Malaisie a connu ensuite le même type de progression (12 % de la production mondiale en 2015) avant que le gouvernement malaisien n’interdise à son tour les exportations de bauxite en 2016. En cause, la prolifération des exploitations clandestines et les dégradations environnementales (OCDE, 2019).
Le paysage minier du secteur est dominé par de grands groupes internationaux qui détiennent la pleine propriété des mines ou développent les projets d’exploitation en joint-venture avec des entreprises étatiques. On trouve des sociétés historiques telles que Alcoa (États-Unis) ou encore Rio Tinto (Royaume-Uni/Australie) aux côtés des nouveaux entrants des années 2000, principalement des sociétés chinoises (le groupe Chongqing-based Bosai, Chalco et le groupe Hongqiao) et l’entreprise d’État Emirates Global Aluminium (Émirats arabes unis). Les sociétés australiennes sont également actives dans le domaine (Alumina Limited, South 32) ainsi que les compagnies indiennes (Hindalco Industries), norvégiennes (Norsk Hydro) ou encore russes (UC Rusal) (OCDE, 2019).
La production d’alumine et d’aluminium : une domination chinoise
L’alumine
La production d’alumine s’est déplacée des pays industrialisés aux pays ayant un accès facile à des ressources abondantes et à une électricité peu chère. Elle s’élève à 136 millions de tonnes (Mt) en 2020, largement dominée par la Chine (54 %) dont la production a connu une très forte progression depuis le début des années 2000. Cette croissance de la production chinoise a permis de réduire la dépendance du pays aux importations d’alumine, mais l’expose désormais aux fluctuations des prix de la bauxite dont elle doit importer près de la moitié de sa consommation domestique. Parmi les autres pays producteurs se trouvent également l’Australie (15 %), le Brésil (7 %), l’Inde (5 %) et la Russie (2 %) (USGS, 2021) (OCDE, 2019).
Le top 10 des producteurs d’alumine compte quatre groupes chinois (Chalco et les groupes China Hongqiao, East Hope et Hangzhou Jinjiang), la société américaine Alcoa, le groupe anglo-australien Rio Tinto et South32, le russe UC Rusal, le norvégien Norsk Hydro et enfin l’entreprise indienne Hindalco (USGS, 2021) (OCDE, 2019).
L’aluminium primaire
En 2020, la production mondiale d’aluminium primaire atteignait 65 Mt, soit un niveau 2,5 fois plus élevé que celui de l’année 2000, avec une prédominance chinoise (56,7 % contre 8,6 % en 1996). Loin derrière, on retrouve l’Inde et la Russie, avec chacune 5,5 % des parts de marché, puis le Canada (4,8 %) et les Émirats Arabes Unis (4 %).
Ces dernières années ont été marquées par un déclin des capacités de fonte dans les pays de l’OCDE. À titre d’exemple, les États-Unis, le Canada et l’Australie représentaient à eux trois plus d’un tiers de la production mondiale d’aluminium en 1996, contre moins de 10 % aujourd’hui (USGS, 2021) (OCDE, 2019).
Le groupe chinois Hongqiao a également détrôné le russe US Rusal dans le classement mondial, lequel compte désormais 6 entreprises chinoises parmi les 10 premiers producteurs d’aluminium. Dans ce peloton de tête, on retrouve Alcoa, Rio Tinto ou encore Emirates Global Aluminium, ce qui atteste de la présence de groupes fortement intégrés (OCDE, 2019).
Faut-il s'inquiéter des ressources en bauxite ?
L’équipe de recherche IFPEN a utilisé le modèle TIAM-IFPEN pour évaluer la demande cumulée en aluminium à l’horizon 2050 sur la base de deux scénarios climatiques : un scénario dit 4°C correspondant à une élévation des températures de 4°C au-dessus des niveaux préindustriels (scénario 4D) et un scénario climatique plus ambitieux limitant la hausse des températures à 2°C (scénario 2D).
Accord de Paris : vers toujours plus d’aluminium
Du fait de ses remarquables propriétés, l’aluminium est appelé à rester un métal phare de nos sociétés à l’horizon 2050, et ce tout particulièrement dans le cas d’un scénario climatique compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris.
Une criticité géologique élevée dans le cas du scénario 2°C
Afin de déterminer l’impact de l’augmentation de la demande en aluminium sur les ressources en bauxite, l’équipe de recherche a calculé des ratios de consommation cumulée par rapport aux ressources pour les scénarios 2D et 4D. L’USGS fournit deux estimations des ressources en bauxite : la plus basse les estime à 55 milliards de tonnes tandis que la plus haute les évalue à 75 milliards de tonnes.
Dans l’hypothèse la plus optimiste, le niveau de criticité associé à la bauxite s’échelonne entre 25,2 % dans le scénario 4°C et 63,9 % dans le scénario 2°C. Ces ratios sont respectivement de 34,4 % et 87,1 % dans le cas de l’estimation la plus pessimiste. Le choix de l’hypothèse impacte donc l’analyse de criticité géologique. Toutefois, quelle que soit l’hypothèse sélectionnée, les ratios obtenus dans le cas du scénario 2°C indiquent une pression élevée sur les ressources en bauxite (Graphique 5).
Les résultats de modélisation obtenus permettent également de nous informer sur la hiérarchie des pays producteurs à l’horizon 2050. Bien que le continent africain gagne en importance dans le cas d’un scénario 2°C, la répartition de la production au niveau mondial en 2050 est similaire à celle d’aujourd’hui. Dans le cas du scénario 4°C en revanche, la Chine devient le premier producteur minier de bauxite avec plus d’un tiers de la production mondiale contre un peu plus de 16 % aujourd’hui.
L’industrie de l’aluminium pourrait donc être confrontée à l’insuffisance des ressources dans le cas d’objectifs climatiques ambitieux. Ce n’est cependant pas le seul défi qu’elle aura à relever dans les prochaines décennies.
Quels autres risques pour l’aluminium ?
L’aluminium : le défi environnemental
L’aluminium est un matériau essentiel de la transition énergétique et sa demande est amenée à croître massivement à l’horizon 2050. Ce métal sera notamment un allié privilégié de l’allègement des véhicules et un élément incontournable des infrastructures électriques, panneaux solaires et éoliennes. Un futur décarboné appelle donc une augmentation des capacités mondiales de production.
Toutefois, ce métal clé pour la transition énergétique est également source d’émissions de gaz à effet de serre. L’industrie de l’aluminium est en effet très intensive en électricité. En 2018, ce seul secteur représentait ainsi 2 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (IAI, 2021).
L’intensité carbone de l’aluminium obtenu dépend étroitement du mix électrique du pays producteur : en Europe, en particulier dans les pays avec une production nationale décarbonée à partir de barrages hydrauliques, géothermie et nucléaire (Norvège, France, Islande), la production d’une tonne d’aluminium primaire génère environ 7 tonnes d’équivalent CO2 (eqCO2 ) alors qu’elle est à l’origine de plus de 20 tonnes d’eqCO2 en Chine, où l’électricité utilisée dans les fonderies est généralement issue de centrales fonctionnant au charbon (European Aluminium, 2019).
L’Institut International de l’Aluminium (2021) a calculé que pour se conformer aux objectifs de réduction de GES tels que définis dans le scénario Beyond 2°C (B2DS) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’empreinte carbone de la production d’aluminium primaire devrait être ramenée de plus de 16t eqCO2/t d’aluminium (moyenne mondiale en 2018) à 2,5t eqCO2/t. Une telle progression nécessiterait un investissement estimé entre 0,5 à 1,5 trillion de dollars au cours des 30 prochaines années.
Si l’intensité carbone de la production européenne d’aluminium primaire a déjà diminué de 55 % depuis les années 1990, l’effort à fournir par la Chine est beaucoup plus important et pourrait être à l’origine de perturbations de l’approvisionnement domestique, comme en témoignent les évènements de début 2021.
Ayant échoué à atteindre ses objectifs de consommation énergétique, la ville de Baotou en Mongolie intérieure a fait l’objet de restrictions de production d’aluminium. Bien que les suspensions de production aient concerné de faibles volumes, la réaction du Shanghai Futures Exchange, première Bourse de matières premières en Chine, a été vive : en mars 2021, les prix se sont envolés et ont atteint leur plus haut niveau depuis presque 10 ans. L’épisode peut sembler anecdotique, il met pourtant en lumière un défi de taille pour ce pays qui se veut être une « civilisation écologique » (Hache, 2019) : concilier politiques industrielles et environnementales.
Une situation qui interroge : de telles interruptions sont-elles amenées à se reproduire ? Quelles en seraient les implications pour le marché mondial ?
L’aluminium, un métal critique pour l’Union européenne
Lors de la dernière mise à jour de sa liste des matières premières critiques (Commission européenne, 2020), l’Union européenne y a pour la première fois fait figurer la bauxite. Employée dans de nombreux écosystèmes industriels, la bauxite n’est que très peu extraite sur le territoire européen d’où une forte dépendance de l’UE aux importations (87 %). Un pays en particulier fournit l’UE : la Guinée. Or, dans un rapport récent (El Latunussa, 2020), la Commission européenne mentionne le caractère problématique de cette dépendance à un pays dont la gouvernance est qualifiée de faible.
Elle conclut également que la demande européenne tant d’aluminium primaire que de bauxite est amenée à augmenter à l’horizon 2050 et évoque le risque de déstabilisation généré par l’appétit chinois sur ces marchés. Malgré une multiplication par 12 de sa production minière depuis 1995, la Chine absorbe en effet aujourd’hui les deux tiers des importations mondiales de bauxite (OCDE, 2019). Le vieux continent semble donc prendre conscience des incertitudes pesant sur son approvisionnement en aluminium, fragilités qui pourraient être exacerbées dans un contexte de progression rapide et généralisée de la demande mondiale.
La réponse du recyclage
L’aluminium est facilement recyclable et peut théoriquement être réutilisé à l’infini sans perdre ses remarquables propriétés. Les facteurs limitants résident donc essentiellement dans l’efficacité des systèmes de collecte et dans les temps d’immobilisation longs dans les secteurs des transports ou de la construction par exemple.
Cette production secondaire présente un double avantage : tout d’abord, l’aluminium secondaire présente une empreinte carbone bien moindre, ce qui en fait un élément primordial de la stratégie de décarbonation de cette industrie (IAI, 2021) ; ensuite, la production secondaire permet d’améliorer la sécurité d’approvisionnement des pays consommateurs, et d’ailleurs, un tiers de l’approvisionnement européen est déjà satisfait via le recyclage (EC, 2020).
A retenir
Métal aux remarquables propriétés, l’aluminium est appelé à rester un métal phare de nos sociétés à l’horizon 2050 du fait de son usage croissant dans les technologies bas-carbone.
Les risques qui pèsent sur ce métal sont :
- géologique : le modèle TIAM-IFPEN anticipe une criticité élevée sur les ressources en bauxite dans le cas d'un scénario 2°C ;
- économique : la production mondiale d’alumine et d’aluminium primaire est dominée par la Chine ;
- stratégique : l’Europe dépend fortement des importations de bauxite, récemment déclarée matière première critique par la Commission européenne ;
- environnemental : source d’émissions de gaz à effet de serre, l’industrie de l’aluminium devrait enregistrer une profonde mutation dans les années à venir.
Pour aller plus loin
Décryptages : les métaux dans la transition énergétique
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Contacts scientifiques : Emmanuel Hache, Charlène Barnet, Gondia Seck
Comment citer cette publication : Hache, Emmanuel ; Barnet, Charlène ; Seck, Gondia-Sokhna « L'aluminium dans la transition énergétique : quel avenir pour ce métal « roi du monde moderne » ? », Les métaux dans la transition énergétique, n° 6, IFPEN, Mai 2021.