19.09.2022
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Les zones littorales et en particulier les estuaires sont soumis à des courants de marée et à des vagues qui ont une forte influence sur l’érosion et le transport de sédiments et donc sur l’évolution de leur morphologie au fil des siècles et des millénaires. Ces phénomènes dépendent du niveau de la mer, qui peut varier, notamment dans les périodes de changement climatique comme celle que nous vivons actuellement. Un travail de thèse appliqué à la rade de Brest a permis de mieux comprendre ces différents processus et de préciser leurs effets à long terme sur la dynamique et la morphologie du littoral.
Des modèles hydrosédimentaires à haute résolution mais à faible horizon temporel
Depuis les années 1990, de nombreux modèles numériques hydrosédimentaires 3D ont été développés afin de simuler l’impact de la marée et des vagues sur les zones littorales, en quantifiant les mouvements des masses d’eau ainsi que l’érosion, le transport et le dépôt des sédiments. Ces simulations sont effectuées avec un pas de temps de l’ordre de l’heure, et une résolution spatiale de l’ordre de la centaine de mètres. Elles fournissent une description fine de l’évolution des littoraux, des ports et des estuaires sur des durées de l’ordre de quelques mois à quelques années, mais ne peuvent pas être appliquées sur des durées longues, supérieures à la dizaine d’années. Ces modèles numériques à haute résolution ont en effet été construits sur la base d’une stationnarité en temps des systèmes sédimentaires, non valide sur de grandes échelles de temps. Bien que les littoraux soient des zones sensibles dans le contexte actuel de changement climatique, leurs évolutions morphodynamiques de long terme (de quelques décennies à plusieurs millénaires) et les interactions avec la marée restent ainsi mal comprises et mal modélisées.
Un couplage des différentes modélisations pour comprendre l’effet des marées à long terme
La question de l’impact à long terme (9000 ans) de la marée sur les courants, le transport des sédiments, et la dynamique de la topographie au niveau des estuaires a été abordée par un travail doctoral [1]. L’impact de la marée y a été étudié sur la base d’un couplage entre modélisations hydrodynamique et hydrosédimentaire, avec des reconstitutions de l’évolution géologique de la baie considérée.
L’objectif principal de la thèse était de fournir une meilleure description de l’évolution d’un estuaire sur des siècles voire des millénaires. Elle a pris comme objet d’étude et de modélisation la rade de Brest, un estuaire macrotidal1 protégé des vagues, où l’amplitude de la marée peut actuellement atteindre 7 m (figure 1). De plus, il y a 9000 ans, le niveau de la mer était 25 m plus bas qu’actuellement et un système fluviatile2 couvrait la totalité de la rade. Au cours des 9000 dernières années, la rade de Brest a été progressivement ennoyée et un système de terrasses marines s’est progressivement mis en place. L’étude des sédiments déposés au cours du dernier cycle glaciaire offrait donc l’opportunité de comprendre l’interaction entre niveau de la mer, marée et dynamique sédimentaire.
1 Qualifie un milieu d'une zone côtière subissant des amplitudes de marée importantes (supérieures à 4m)
2 Relatif aux fleuves et aux cours d’eau
Une méthodologie en trois étapes
Trois étapes ont été nécessaires pour réaliser un modèle précis de l’évolution de la rade de Brest :
1/ L’évolution de la rade de Brest au cours de la dernière glaciation Holocène a été décrite en reconstituant sa morphologie et les environnements de dépôt à quatre étapes clefs de son ennoiement et de celui des terrasses marines [2]. Pour cela, on a eu recours à une analyse sédimentaire fine faisant appel à des données sismiques et à des carottages.
2/ Les courants marins induits par la marée et leurs impacts sur l’érosion, le transport et le dépôt des sédiments ont été simulés pour chaque étape avec les modèles hydrodynamique Mars 3D (figure 2), puis hydrosédimentaire Mustang, tous deux développés par Ifremer ; chaque simulation a été réalisée avec un pas de temps de 30 minutes pour une durée totale simulée de 2 ans, et avec une résolution spatiale de 250 m [2].
3/ Une analyse spectrale de l’évolution du fond marin de la rade a ensuite été réalisée afin d’identifier les caractéristiques des événements extrêmes, dits marées morphogènes, principaux responsables de la dynamique sédimentaire [1]. L’identification de ces marées morphogènes a permis de simplifier la prise en compte de l’évolution temporelle de la marée, et de remplacer son évolution horaire par la définition de l’amplitude et de la fréquence de ces événements extrêmes. Les courants marins induits par ces marées morphogènes ont ensuite été utilisés dans le modèle stratigraphique DionisosFlow, développé par IFPEN, afin de simuler l’évolution de la rade sur plusieurs années. Ces simulations stratigraphiques à basse résolution (pas de temps = 1 an, résolution spatiale = 250 m) sont essentielles pour étudier l’évolution d’un estuaire sur des durées longues (de quelques décennies à plusieurs siècles), et être ainsi en mesure de confronter les résultats des simulations hydrodynamiques à l’enregistrement sédimentaire.
Un modèle évolutif de la rade de Brest qui prend en compte la variabilité du climat
Les résultats de cette confrontation entre modélisations hydrosédimentaires et observations sédimentaires sont très encourageants et ont permis de réaliser pour la première fois une simulation stratigraphique de l'évolution du fond marin de la rade de Brest [3]. En s’appuyant sur les résultats des modélisations hydrosédimentaires Mars 3D et Mustang, et en supposant un climat constant sur 10,000 ans, le travail de thèse a permis d’estimer la vitesse d’érosion ou de sédimentation dans la rade (figure 3). Cette première simulation couplée hydrosédimentaire et stratigraphique montre le potentiel de l’approche adoptée pour évaluer l’évolution à long-terme d’un estuaire en fonction de scénarios climatiques.
Références:
[1] M. Olivier, Numerical modelling of the impact of tidal currents over the long-term: application to Holocene sedimentary records from the bay of Brest, thèse de doctorat soutenue à l’Université de Bretagne Ouest (UBO) le 10 mai 2022. Co-encadrée par IFREMER, IFPEN et UBO.
[2] M. Olivier, E. Leroux, M. Rabineau, P. Le Hir, D. Granjeon, T. Chataignier, A. Beudin, H. Muller, (2021), Numerical modelling of a Macrotidal Bay over the last 9,000 years: An interdisciplinary methodology to understand the influence of sea-level variations on tidal currents in the Bay of Brest. Continental Shelf Research 231, 104595. https://doi.org/10.1016/j.csr.2021.104595
[3] M. Olivier, E. Leroux, P. Le Hir, M. Rabineau, D. Granjeon, H. Muller, (soumis) Numerical Modelling of Tidal Sediment Dynamics in the Bay of Brest over the Holocene: How the Use of a Process-Based Model over Paleoenvironmental Reconstitutions can Help to Understand Long-term Tidal Deposits ?
Contact scientifique : Didier Granjeon
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